Par Frédéric Bonnet
Merci à Damien Criotier pour son témoignage.
Le rugby universitaire des grandes villes ou celui des instituteurs et des professeurs de collège du midi de la France a disparu. Pour un jeune aspirant espoir d’un des trentes centres de formation de rugby professionnel, la poursuite de ses études relève d’un véritable parcours du combattant. Damien Criotier, demi d’ouverture du club de rugby de La Seyne peut en témoigner.
Bien entendu, on trouve encore en Top 14 des joueurs ayant mené conjointement leur carrière professionnelle rugbystique et un cursus universitaire. Clément Maynadier, talonneur de l’UBB et ingénieur en aéronautique, Antoine Batut troisième ligne du MHR et ingénieur agronome, Jonathan Best, troisième ligne du FCG et journaliste, Jean Bouilhou ingénieur agronome et joueur de Pau et Toulouse fraîchement retraité, Thierry Dusautoir ingénieur en aéronautique et joueur à Toulouse. Des exceptions qui ont su contre vent et marées concilier deux carrières. Pourtant l’organisation du rugby professionnel actuel se fait au détriment de la scolarisation et de la formation universitaire des jeunes espoirs. Il y a peu de temps encore de nombreux clubs tissaient des liens forts avec l’université de leur ville ou de leur région : Toulouse, Grenoble, Lyon, Bordeaux ou Paris. D’ailleurs dans le cahier des charges des centres de formation figure dans son article 1 l’acquisition de la double qualification sportive et scolaire pour chaque espoir. Ceci pour faire en sorte que chaque joueur acquiert une capacité d’insertion dans la vie active à l’issue de sa carrière de sportif.
En fait les exigences pour réussir en centre de formation sont telles qu’elles éloignent ou repoussent de plus en plus de jeunes étudiants qui préfèrent poursuivre leurs études générales. La plupart des jeunes rugbymen s’orientent donc sur la préparation de brevets d’états type BP jeps, des formations professionnelles courtes ou des études STAPS où les cours sont traditionnellement plus volontiers aménagés.
Prenons la carrière de Damien Criotier, 25 ans, 180 cm et 92 kg, demi d’ouverture de de l’US La Seyne pour la troisième année consécutive.
- Après avoir longtemps joué au foot à Avignon Le Pontet, il a suivi les traces de son père, ancien joueur de rugby à XIII au Pontet, et s’est tourné vers le rugby à 15.
- A 17 ans, il est recruté par le centre de formation de Castres, après avoir été repéré dans des sélections départementales Provence PACA en Taddéi. Pendant deux ans de Crabos et une année espoir, il suivra les conseils d’éducateurs avec lesquels il entretient toujours des rapports privilégiés : Frédéric Seguier, Thierry Bourdet et José Diaz. Il en profitera pour passer son bac scientifique et finir un BTS agroalimentaire.
- C’est à ce moment qu’il va comprendre qu’un joueur de rugby a certes le droit de faire des études, mais qu’aucun dispositif d’aménagement ou d’aide ne lui sera accordé. Contrairement au système anglo-saxon, dans lequel éducation et sports sont intimement imbriqués (par exemple Jamie Roberts a pu l’année dernière finir ses études de médecine à l’université de Cardiff et continuer parallèlement sa carrière de rugbyman professionnel en premiership), l’éducation nationale française ne propose qu’un étalement sur plusieurs années de leur cursus scolaire ou universitaire. Une variante du redoublement, mais le rattrapage des cours est à la charge de l’étudiant et dépend de la bonne volonté de chaque enseignant.
- Pendant ses trois années au centre de formation de Castres, Damien Criotier parvient à concilier rugby et étude. Mais voyant que même la génération dorée castraise (les joueurs nés entre 1987 et 1988) championne de France Reichel deux années consécutives ne parvenait pas aux portes de l’équipe 1 du Castres olympique, il décide de tenter sa chance en Pro D2 à Aurillac.
- Il y restera trois ans après avoir signé un contrat jeune, mais sera barré au poste de demi d’ouverture par la star du club, Maxime Petitjean. Il faut dire que l’entraîneur en chef n’avait pas d’état d’âme et qu’il ne considérait pas sa fonction d’éducateur et de révélateur de jeunes talents primordiale, ceci malgré l’insistance de l’entraîneur des espoirs Roméo Gontineac. Damien Criotier en profite pour passer un diplôme de BP jeps.
- Comme beaucoup de joueurs de sa génération, il va se tourner vers un club de fédérale 1 et une ville lui permettant de continuer ses études. Il choisit Rodez et arrivera avec son club en huitième de finale, ne s’inclinant que contre l’épouvantail de la fédérale 1 : Nevers. Il jouera 14 matchs pour 709 minutes de jeu. Parallèlement, il obtient une licence qualité-innovation-gestion de projet. Manque de chance, l’avenir financier incertain du club (la DNAGC a Rodez dans le collimateur depuis quelques années) le pousse à trouver à nouveau un autre club.
- Damien Criotier envoie son CV aux quatre coins de l’Ovalie fédérale et atterrit enfin à La Seyne, le club emblématique varois. Le voisin du grand RCT a gardé les valeurs du rugby méridional amateur rugueux et combattif. Le club, qui possède les couleurs du Stade francais depuis sa création par un parisien M.Marquet, cultive la mémoire de son passé ouvrier, celui des arsenaux de la marine. Il se modernise progressivement sous la férule de son président M.Murie et possède désormais une salle de musculation à côté de la tribune principale. Les entraînements sont passés de 3 à 4 par semaine, le soir, et les séances de muscu et de préparation physique de 2 à 4 par semaine. En deux années, Damien Criotier aura joué 25 matchs pour 1016 minutes de jeu. Le club de La Seyne aux valeurs humanistes et éducatives lui permet de valider un master IAE qualité et développement durable.
Damien Criotier a fait le choix courageux de mener de front sa carrière de rugbyman professionnel tout en continuant des études de haut niveau. Avant l’arrivée du professionnalisme dans le rugby, il aurait pu jouer en première division et obtenir le même diplôme. Désormais, les joueurs espoirs du rugby français s’entraînent tous les jours de la semaine de 8:00 à 16:00. Impossible donc de poursuivre des études à l’université ou en fac. Pourtant, ces joueurs trouvent de moins en moins de place en Top 14, en Pro D2 ou même en fédérale 1. Les quelques joueurs du Top 14 qui gagnent des fortunes cachent la situation sociale terriblement précaire des autres joueurs. Ils gagnent en moyenne 3500 € en Pro D2 et 2000 € en fédérale 1 dans les clubs les plus riches de la poule élite. Ils sont aux mieux employés en CDD pour trois ans. Aucune banque ne se lance donc par exemple à leur octroyer des prêts immobiliers. Sans compter que les joueurs de fédérale 1 sont de plus en plus souvent blessés et que leur carrière est amenée à se raccourcir. Les autres joueurs sont relégués dans les autres poules de la fédérale 1 ou dans les niveaux inférieurs. Avec très peu d’espoir d’intégrer un jour le monde professionnel. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ce magnifique sport éducatif que demeure le rugby dans les écoles de rugby, se transforme en sport lamineur de talents, qui au pire laisse les jeunes joueurs sur les bords des routes de l’Ovalie, au mieux les utilise au détriment de leur santé, blesse les corps, puis les rejette sans formation après une trop brève carrière. Comme le dit Damien Criotier, il faut bien faire lever les foules des stades, mais à quel prix ? Le rugby se serait-il transformé en jeux romains du XXI è ? Les joueurs de rugby en gladiateurs-esclaves des temps modernes ? Le paradoxe du rugby français est qu’il offre des perspectives sportives de plus en plus aléatoires voire minimalistes à ses jeunes et un niveau d’étude ou une formation professionnelle de plus en plus limitée.
Le rugby français va droit dans le mur. Il faudrait :
- forcer les centres de formations à s’adapter aux exigences du niveau d’étude de chaque joueurs.
- contraindre les universités et les facultés à aménager les études des sportifs de haut niveau, comme cela se fait aux États Unis.
- et obliger les clubs de rugby professionnels à puiser dans le vivier exceptionnel que constitue l’ensemble des joueurs espoirs de leurs centres de formation.
Une nouvelle voie pour les rugbymen désireux de poursuivre leurs études , les universités américaines qui s’ouvrent arugby, cela existe et fonctionne pour d’autres sports avec octroie de bourses d’études pour les plus meritants, des agences existent pour faciliter toutes les remarches longues et complexes
Bonjour Pierre Louis Bernard, j’ai 20 ans, je joue actuellement en fédéral 1 élite, et peine à valider mes études d’économie à cause du mode de fonctionnement professionnel des entraînements. Je suis très intéressé par la formule dont vous parlez avec les bourses d’études aux USA. Connaissez-vous des agences ou des contacts qui permettent d’entrer en relation avec les universités américaines ? Merci beaucoup
Bonjour merci de me donner des adresses de ces agences
Comme pour les scientifiques nous allons vers la perte de nos talents