Par frédéric Bonnet
Un paradoxe français
Depuis l’avènement du professionnalisme en 1996, le rugby français s’est doté d’une gouvernance bicéphale. Le 20 aout 1996 à Paris, le gouvernement français, via sa ministre Marie Georges Buffet, a décidé d’octroyer une délégation de gestion de ses clubs professionnels à une Ligue nationale de rugby (LNR), tandis qu’elle laissait à la Fédération française de rugby (FFR) le pouvoir sur le reste du monde de l’ovalie.
Un pouvoir illusoire, car de fait 20 après la richissime LNR domine largement la FFR. Tout l’écosystème rugbystique français tourne autour du sacro saint TOP 14. Au contraire de ce qui se passe dans toutes les autres nations du monde. Ailleurs, l’organisation rugbystique tourne autour de l’équipe nationale, soit par nécessité, soit en s’appuyant sur des fédérations surpuissantes.
Périodes après périodes, sélectionneurs après sélectionneurs, les résultats du XV de France n’ont fait que dégringoler. Le niveau sportif des bleus est désormais très éloigné des nations dites majeure du rugby, que ce soit en Europe ou dans l’hémisphère sud. Les français ont même subi deux revers retentissants à domicile contre des nations dites mineures, les Fidjis et le Japon.
Un championnat surpuissant financièrement qui attire les mégastars du monde entier et un XV de France aux résultats faméliques : le paradoxe français.
Du fait conjointement des mauvais résultats du XV de France et de l’image délétère du Top 14 (blessures impressionnantes, soupcons de dopage, jeu restrictif), le nombre de licenciés semblent devoir inéxorablement baisser.
Pourtant l’état de santé global du rugby français n’est pas si mauvais. Incriminer la formation rugbystique française n’est d’ailleurs plus un argument. L’excellence des résultats des 18-19 ans et le double titre de champion du monde des moins de vingt ans sont la preuve du contraire. Les français savent jouer au rugby et sont même les meilleurs du monde jusqu’à … 20 ans.
La véritable plaie du rugby français : le trou noir de Didier Retière, DTN du rugby français
A l’âge où partout dans le monde, les jeunes joueurs intègrent progressivement, mais surement, les équipes premières de leurs championnats domestiques, les jeunes internationaux français restent sur le bord de la route ovale.
De 20 ans à 23 ans, les meilleurs jeunes joueurs français deviennent professionnels, mais paradoxalement ne jouent plus. Quelques uns, une minorité, accèdent à l’équipe première d’un club de Top 14, mais la plupart partent au mieux en pro D2 ou monnaient leur talent en fédérale 1.
Comme l’écrit Richard Escot dans son blog « Côté ouvert », ils disparaissent des radars de la FFR : le fameux trou noir de Didier Retière. Le retard pris pendant ces années cruciales, c’est autant de carences et de trous dans les générations qui se succèderont plus tard dans le XV de France.
Comment renouveler les générations si on ne leur donne pas leur chance ? Les faires jouer dans une équipe de France bis dédiée à cette classe d’âge ? Mais pour jouer contre qui ?
Le problème est même d’ordre moral. Abandonner une jeunesse formée longuement et patiemment, lui promettre un avenir ovale radieux, au passage sans lui permettre de développer un double projet, puis la laisser se débrouiller seule dans les bras de présidents qui au mieux les exploiteront, au pire les ignoreront. Ou le contraire.
Le moins que l’on puisse dire c’est que le TOP 14, trop pressé par des impératifs de rentabilité à court terme, n’aide pas à la maturation des jeunes talents français.
Le succès du rugby joué par les femmes démontre en creux l’échec du modèle rugbystique français des hommes. Nos internationales multiplient les performances avec le XV de France car l’écosystème de leur rugby est centré sur leurs performances en bleues (à 15 ou à 7), pas sur leurs prestations en club. De fait, elles sont dans leur grand majorité semi-amatrices et ne dépendent que de la FFR.
Ailleurs dans le monde, la professionalisation du rugby n’entraine pas nécessairement la chute des équipes nationales. A condition que les clubs pros ne prennent pas le pouvoir.
L’exemple du football français
C’est le cas aussi dans d’autres sports, à commencer par le concurrent historique du rugby : le football.
En France, le football se porte bien. Le nombre de licenciés augmente, tiré plus par les résultats des bleus, champion du monde 2018, que par son championnat de ligue 1, beaucoup moins attractif que les championnats anglais, espagnols, italiens ou allemands. Une fédération puissante, un championnat de niveau moyen et des jeunes internationaux de moins de 20 ans qui jouent tous en première division.
La conséquence majeure de l’écosystème du rugby français centré principalement sur le TOP 14 géré par la LNR, c’est que nos jeunes internationaux sont abandonnés par le rugby pro. Ils n’ont joué cette année en moyenne que 379 minutes pour 7 matchs sur 26 possibles (seuls 4 joueurs ont joué plus de 700 minutes cette saison). Au même moment, les jeunes internationaux de football ont joué en moyenne 2361 minutes pour 31,8 matchs sur 38 possibles.
Un temps de jeu 6,22 fois supérieur, 8 joueurs pouvant être considérés comme titulaires (72,7 %) par rapport aux jeunes rugbymen. Un rapport ramené à 4,25, si on compare le nombre de match possibles durant une saison entre le football et le rugby. Un monde de différence.
Ne pas changer l’écosystème du rugby, c’est ne rien changer. La LNR et la FFR ont des intérêts, à moyen ou court terme, trop divergents pour pouvoir coexister. Il y en aura toujours un qui écrasera l’autre, et depuis plus de vingt années, c’est la LNR qui commande.
En l’état, que peut faire la FFR ? Pas grand chose, à part optimiser le mieux possible ce qui la concerne : la DTN, la formation, le département recherche, ses rapports avec l’éducation nationale, les championnats amateurs.
Le XV de France, champion du monde des moins de 20 ans, est en deuxième divison mondiale chez les séniors. Un constat qui perdurera à coup sur si le rugby français ne se recentre pas sur ses internationaux.
Temps de jeu, nombre de matchs joués par les internationaux moins de 20 ans français de football en 2019
Joueurs | Clubs | Nombre de matchs joués |
Temps de jeu (en minutes) |
Bernadoni | Nimes | 38 | 3420 |
Amian | Toulouse | 32 | 2880 |
Sarr | Nice | 35 | 2995 |
Konaté | Leipzig | 37 | 2431 |
Upamécano | Leipzig | 19 | 1292 |
Guendouzi | Arsenal | 33 | 2141 |
Ntcham | Celtic | 22 | 1200 |
Tousart | Lyon | 30 | 1725 |
Ikoné | Lille | 38 | 2814 |
Thuram | Guinguamp | 32 | 2583 |
Mateta | Mayence | 34 | 2492 |
Moyennes | 31,8 | 2361 |
Temps de jeu, nombre de matchs joués par les champions du monde de rugby de moins de 20 ans en 2019
Nom | Club | Nombre de matchs joués |
Temps de jeu (minutes) |
Gros | RCT | 15 | 621 |
Lachaud | RCT | 0 | 0 |
Burin | Agen | 1 | 3 |
Geraci | Grenoble | 16 | 721 |
Vanverbeghe | RCT | 1 | 41 |
Haddad | La Rochelle | 0 | 0 |
Hamonou | Stade Français | 0 | 0 |
Joseph | Racing | 11 | 521 |
Coly | Mt de Marsan | 4 | 47 |
Carbonel | RCT | 16 | 886 |
Taofifenua | ASM | 0 | 0 |
Delbouis | Stade Français | 16 | 883 |
Vincent | MHR | 15 | 751 |
Pinto | Pau | 3 | 187 |
Lebel | Stade Toulousain | 7 | 421 |
Moyennes | 7 | 379 |
En même temps, Haddad-Victor, viens d’intégrer le groupe pro, pour la nouvelle saison !
Il aurait été idiot de le faire jouer en Top 14 à …17 ans , non ?
Excellent… tu as fais un 15 type ? Ceux qui ont le plus joué ? Avec les joueurs de Top 14 et de Pro D2 pour le rugby (LNR) et en foot, ligue et ligue 2 (LNF) ?
Mercî pour la citation. Statistiques eloquentes.