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La touche et l’alignement au rugby : un ballet silencieux savamment chorégraphié

Par Frédéric Bonnet

Remerciements à l’expert en chorégraphie rugbystique Régis Sonnes et à Kate Ainley pour la traduction des règles anglaises.

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L’alignement de l’UBB à l’entraînement

Tout supporter ou connaisseur de rugby ne peut que rester émerveillé devant le magnifique spectacle que représente la touche au rugby. La conquête collective et aérienne du ballon de rugby est un véritable ballet silencieux, mélange de corps qui se déplacent verticalement ou horizontalement le long d’une ligne imaginaire, l’alignement, et de regards qui scrutent les intentions adverses. Le maître de ballet n’est autre que l’entraineur des avants : à l’UBB il se nomme Régis Sonnes.

L’histoire de la touche

On dit souvent que le rugby c’est l’école de la vie : l’apprentissage du respect des autres qui s’appuie sur deux idées fondamentales. L’homme doit être solidaire, mais aussi courageux. Pour se faire, il doit suivre des règles, mais aussi respecter l’esprit qui gouverne ces règles : le rugbyman peut alors exploiter le moindre espace de liberté que le législateur lui laisse du moment qu’il respecte les trois commandements sacrés DISCIPLINE – CONTROLE DE SOI – RESPECT MUTUEL. Si l’on étudie l’histoire des règles du rugby, on s’aperçoit qu’elles n’ont cessé d’évoluer ou d’être mises à jour afin d’apporter des réponses concrètes aux différentes interprétations des belligérants, de clarifier le jeu, de préserver la santé des joueurs ou de s’adapter aux évolutions sociétales. Toutefois, les instances dirigeantes ont toujours pris soin de préserver l’identité fondamentale du jeu : la lutte pour le gain du ballon et la conquête du terrain.

Lorsqu’en 1828, Thomas Arnold prend la direction du collège de Rugby, il apporte avec lui ses idées novatrices en terme d’éducation des jeunes. Ainsi, il encourage ses élèves à prendre des responsabilités dans leur propre éducation sous forme, dans un premier temps d’une autogestion de leurs loisirs, et donc du football-rugby. De cette première participation véritable des étudiants à leur propre éducation, naitrons en 1846 les premières lois, au nombre de 37, du football-rugby joué à l’école de Rugby, puis dans toute l’Angleterre. 

La touche n’échappe pas à la règle et a subit des évolutions radicales qui en ont enrichi et complexifié la pratique. 

Elle ne fait d’ailleurs pas partie explicitement des 37 lois fondatrices du rugby. Comme au football, le ballon était donc rejoué par le joueur qui le touchait en premier hors des limites du terrain. D’où le terme touche. Elle n’est mentionnée qu’à partir de 1862 dan la loi N°32  qui dit :un ballon en touche est mort. Donc le premier joueur le plus proche doit le poser par terre au bord de la touche, puis le jeter immédiatement ou le prendre lui même s’il le souhaite…

En 1871, cette loi est mise à jour une première fois : si la balle part en touche après un coup de pied, il doit être posé à terre à l’endroit où il a traversé la ligne et non pas de là où il a été botté. 

C’est en 1895 qu’est instaurée la notion de conquête collective du ballon après touche : l’équipe adverse a deux possibilités lorsque le ballon est sorti en touche, soit elle lance le ballon dans le champ de jeu à au moins 5 yards de la ligne de touche et à angle droit, soit elle fait une mêlée à 10 yards de la ligne de touche toujours à angle droit. Le ballon est jetté littéralement par le joueur adverse le plus proche, dès qu’il le peut vers un joueur isolé, puis petit à petit vers un alignement des deux équipes qui ont le droit de soutenir les sauteurs et de les gêner. Une véritable foire d’empoigne. 

En 1969, il devient interdit de botter directement le ballon en touche au delà de ses 22 m. Enfin en 1972, on réorganise la remise en jeu en touche en interdisant le soutien des partenaires au sauteur et la gêne pour les adversaires du sauteur.

Mais, c’est en 1997, qu’une nouvelle règle va révolutionner la touche : l’autorisation du lift ou ascenseur. Alors, que beaucoup pensaient que cette nouvelle loi signait sa mort, elle a au contraire tout à la fois clarifié et complexifié la touche.

En top 14, après 15 journées, on compte en moyenne dans chaque match 12,4 touches par club pour seulement 9 mêlées. Le club le plus performant est de loin l’UBB puisqu’il cumule le plus haut pourcentage de réussite sur ses propres lancers (88,4 %) et le plus grand nombre de contres (27). Régis Sonnes, l’entraîneur des avants de l’UBB et ancien troisième ligne sauteur de Mont de Marsan, du SUA, de Brive et du Stade toulousain, est le responsable de cette éclatante réussite. Il faut dire qu’il a une idée très personnelle et bien précise sur le sujet. Et aussi quelques secrets…

Les protagonistes de la touche 

Pour commencer : le lanceur.

C’est désormais quasi exclusivement le talonneur qui lance le ballon. Auparavant, ce rôle était tenu par le joueur le plus proche de la zone de franchissement de la ligne de touche, bien souvent l’ailier. Au départ, les joueurs lançaient le ballon fabriqué avec une vessie de porc entourée de cuir, et donc relativement lourd, à une main tel un javelot, puis à deux mains entre les jambes (donc en cloche). La fabrication de ballons plus légers en plastique a amené les lanceurs à jeter le ballon avec une main en passant au dessus de la tête et en plaçant une jambe derrière l’autre. Sean Fitzpatrick, le talonneur des All Blacks en 1987, fut le premier à lancer la balle à deux mains en passant au dessus de la tête, mais toujours avec le corps dans la même position latérale. Actuellement, la plupart des talonneurs utilisent cette technique, mais placent leurs deux pieds parallèlement à la ligne de touche.  Les lancers ont ainsi gagné en précision, mais perdu un peu en puissance et en hauteur. L’UBB dispose de quatre excellents lanceurs : Avei, Maynadier, Auzqui et le prometteur Chambord.

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Le lancer à deux mains par Sean Fitzpatrick

Deuxième protagoniste : le sauteur. Il est chargé de capter le ballon en l’air. Il doit avoir deux qualités principales : une très bonne détente et excellente coordination. En général, c’est un joueur longiligne, mais pas forcément. L’UBB dispose pour chaque matchs d’au moins cinq sauteurs. En début d’alignement Marais ou Ledevedec, en fond Chalmers, Madaule, Goujon ou Clarkin. Les sauteurs ont souvent des grips sur leur short et des cales au dessus des genoux pour faciliter le travail des lifteurs.

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Les deux licteurs et le sauteur

Enfin, le troisième protagoniste : le lifteur. Il est chargé de soulever le sauteur et de le maintenir le plus haut possible le temps nécessaire à une prise optimale du ballon. Il peut être seul, mais le plus souvent on associe au sauteur un lifteur arrière (qui le saisit au niveau du short sous le plis fessier) et un lifteur avant plus petit (qui le saisit aux genoux). En général, les lifteurs sont les piliers (Kepu, Gomez-Modela, Toetu, Kitschoff, Poirot, Taofifenua ou Poux) et des deuxièmes lignes ou troisièmes lignes puissants, tels Botha, Jaulhac ou Tauleigne.

Les combinaisons en attaque et en défense

L’UBB dispose de plus de 150 annonces différentes, qui combinent à la fois la zone de saut (il y en a 5 au maximum), les déplacements des sauteurs (avancer, reculer, faire du surplace), la disposition de l’alignement (écart identique entre les joueurs, paquets de deux ou de trois…), le nombre de joueurs dans l’alignement ou les feintes (feinte de saut, contournement de l’alignement pour sauter plus loin…). C’est le capitaine de touche qui décide de l’annonce et la communique le plus discrètement possible sous forme de code et de noms à ses coéquipiers, avant le lancer. A l’UBB, les capitaines de touche peuvent être Madaule, Chalmers, Marais ou Ledevedec. Le capitaine est souvent placé devant des choix cornéliens : plus le lancer est proche de la ligne de touche, plus il sera facile à capter, mais plus il sera dangereux à jouer ; le maul constitué risque d’être repoussé en touche par les adversaires  et le demi d’ouverture se trouve logiquement plus éloigné de son demi de mêlée (obligé de lui faire une passe plus longue) avec plus de défenseurs en pression sur lui. A contrario, les lancers en fond de touche donnent de meilleurs ballons à jouer, mais sont plus difficiles à capter.

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1 Lancer et saut
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3 Enchaînement (maul par exemple)
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2 Captation

Les trois phases : lancer, saut et captation, enchaînement

En défense, tout est question de vitesse d’adaptation, d’observation de l’adversaire, de feeling et de coordination entre lifteurs et sauteurs. Le capitaine de touche peut choisir soit une défense individuelle d’homme à homme, soit un marquage de zone. 

Les enchaînements après la touche

Pour Régis Sonnes la touche (au contraire de la mêlée) constitue la rampe de lancement du jeu la plus efficace. Depuis 1997, c’est une phase de conquête du ballon aux possibilités multiples, mais très rarement sanctionnée contrairement à la mêlée, car extrêmement organisée et codifiée. Le « vice » et la tricherie n’y ont que peu de place. La conquête du ballon y est très rapide et permet de nombreux enchaînements. Mêmes les meilleures équipes du top 14 ne gagnent au maximun que 6 mêlées sur 10, contre près de 9 touches sur 10 pour l’UBB. 

La charnière qui est chargée d’annoncer à ses avants le lancement qui suivra la prise de balle a plusieurs possibilités  :

  • jouer au pied,
  • créer un maul,
  • jouer au coeur de la mêlée (en écartant un bloc et en jouant dans le trou ainsi créé),
  • attaquer dans la zone du 9-10 au près,
  • ouvrir au large
  • ou partir sur le coté fermé. 

L’entraînement 

 

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L’entraîneur des avants de l’UBB : Régis Sonnes et son balai magique

Pour Régis Sonnes, la touche est donc une priorité, un domaine d’excellence, une spécialité.

Pour parvenir à ses fins, il a élaboré une pédagogie spécifique, qui évolue sans cesse au fil des années. En voici, les principes essentiels :

Loi 1 : Il vaut mieux travailler la touche à l’entraînement 30 minutes tous les jours, que 1 heure une fois par semaine.

Loi 2  : Pour arriver à un apprentissage efficace, il faut cinq semaines de travail, mais on perd quasiment tout le bénéfice de ce travail après une semaine de repos. Il faut alors tout recommencer à zéro : c’est le théorème de Sonnes.

Loi 3 : Les joueurs doivent être acteurs de leur propre apprentissage. Un « groupe touche » (Madaule, Chalmers, Ledevedec, Marais) est chargé d’étudier l’adversaire et de proposer des idées en attaque et en défense à l’entraîneur et à leurs coéquipiers. Un sorte de leçon est alors élaborée collectivement, apprise et mise en pratique le jeudi et le vendredi sur le terrain.

Loi 4 : Le soucis du détail est mis en avant en permanence. 

Loi 5 : Enfin, le secret, qui le restera, consiste dans la recherche perpétuelle du bon et juste timing entre le lancer et la prise de balle. Si le sauteur part trop tôt, l’adversaire le contrera plus facilement, s’il part trop tard, le ballon sera déjà passé au moment où le sauteur est dans le ciel. Soit la maxime sauter au bon moment, au bon endroit, à la bonne hauteur : Je pense que le chorégraphe Régis Sonnes et ses étudiants ont trouvé la bonne formule, mais ils la gardent encore secrète.

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Statistiques pour chaque club après la quinzième journée du top 14

Club % réussite Nombre de contres
UBB 88,4 % 27
RCT 87,9 % 16
St toulousain 85,9 % 26
Racing 85,6 % 24
ASM 85,6 % 19
Oyonnax 84,7 % 16
FCG 82,5 % 13
CO 81,7 % 14
SF 81,2 % 20
La Rochelle 80,6 % 17
Agen 80,5 % 14
Pau 80,5 % 9
Montpellier  80,1 % 24
Brive 80 % 27

7 Commentaires

  1. Merci pour cet éclairage ô combien instructif. Noves aurait peut-être bien besoin de Sonnes, non? Dis-moi, ne botte pas en touche!

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