Par Frédéric Bonnet
Le Clenbutérol est un vieux médicament anabolisant non stéroidien très utilisé chez les bodybuilders il y a une trentaine d’années. C’est un médicament vétérinaire. Il est détourné de son utilisation initiale par certains éleveurs sans scrupule pour que les bovins fassent plus de viande…
Depuis un an (soit de décembre 2017 à décembre 2018), une vingtaine de joueurs de rugby néo zélandais ont été pris la main dans le sac pour prise de clenbuterol. Le phénomène n’est pas anodin.
De là à écrire que le rugby traite ses joueurs comme du bétail…
Rappellons que dans les années 80-90, les films de Stallone, Schwarzenegger etc .étaient financés par des labos commercialisant les anabolisants. Le phénomène n’est donc ni nouveau, ni anodin. Certains clubs du TOP 14 ont d’ailleurs des sponsors issus de l’industrie pharmaceutique ou vétérinaire.
Pas cher, facile à commander sur internet et aussi efficace que les anabolisants stéroidiens, le clenbuterol est logiquement un produit dopant de choix. Notamment pour les joueurs de rugby semi-amateurs et amateurs qui ne roulent pas l’or.
Ceux-ci ne disposent pas d’un staff médical performant, ni des prouesses technologiques qu’apporte le dopage biotechnologique ou dopage génétique.
Les joueurs non retenus par le monde impitoyable de Santa Ovalie, le rugby professionnel sont les plus vulnérables. Ils espèrent bien y accéder un jour ou l’autre. Ces joueurs sans gros moyens financiers sont les victimes idéales des labos pharmaceutiques vétérinaires.
Les cousins du clenbuterol, les anabolisants stéroidiens, étant de mieux en mieux repérés, plus chers et surtout ciblés par les agences de contrôle antidopage, le clenbutérol revient sur le devant de la scène. Sauf qu’il présente l’inconvénient majeur d’être facilement détecté par les contrôles anti-dopages. Ceux sont donc toujours les mêmes qui se font prendre : les joueurs les plus pauvres. Il n’y a pas de justice ovale.
Par contre, il est indéniable que le clenbutérol comporte de nombreux avantages pour un sportif. En tout cas pour ceux qui veulent prendre rapidement et durablement du muscle. Le clenbuterol a des effets :
- anabolisant musculaire (développe le muscle),
- anticatabolisant musculaire (empêche la fonte du muscle),
- lipolytique (brûleur de graisse),
- brochodilatateur (dilate les bronches).
Des gabarits de joueurs de rugby de plus en proches des bodybuilders
Comme le rappelait récemment Andy Goode, jeune retraité du rugby anglais, le rugby pro produit une quantité impressionnante de bodybuilders. Dès qu’ils ont un jour de repos, ces « singes de la salle de muscu » vont soulever des haltères. Ils pensent à leurs muscles avant de penser à leurs skills, continue-t-il. La charge est lourde. Mais quel citoyen lambda peut-il désormais s’identifier à un joueur de rugby professionnel ?De fait, les gabarits des joueurs de rugby ont explosé depuis que le rugby est devenu professionnel. http://rugby-en-melee.com/evolution-gabarit-moyen-rugbymen-5-periodes-de-1978-a-2016/.
Série d’une vingtaine de joueurs de rugby suspendus pour prise de clenbuterol en Nouvelle Zélande depuis décembre 2017
Depuis décembre 2017, le New Zeland Rugby Judicial Committee et le Sports Tribunal of New Zealand ont sanctionné pas moins de 24 joueurs de clubs de rugby (5 de la Rugby League et 19 de la Rugby Union) pour usage pour la plupart d’anabolisants : 18 avaient pris du clenbuterol associé ou non à des anabolisants stéroidiens (metandienone, nandrolone, testosterone, trenbolone, dianabol). Un joueur a été condamné pour prise d’amphétamines (stimulant), un autre d’higénamine. Les peines prononcées allaient de 2 ans à 4 ans de suspension. Les trois derniers cas en date en décembre 2018 ne sont donc que la partie émergée d’un iceberg assez gigantesque.
L’épidémie a été peu relayée par les médias ou les fédérations, mais la situation est d’autant plus préoccupante que la nation majeure du rugby mondial fait figure de modèle rugbystique. D’ailleurs, aucun des joueurs incriminés ne faisait parti d’un club de première division (Super rugby), ce qui laisse présagé du pire pour le monde professionnel qui dispose de plus de moyens pour dissimuler ses dérives.
Surtout si l’on prend en compte le fait qu’en terme de probabilité, pour une fenêtre de détection de 48 heures, une sensibilité des tests d’à peine 40%, douze contrôle par an et un dopage en continu, le rapport du risque d’être contrôlé positif est d’un sur trois (33,3%). Mais, pour un contrôle par an (cas le plus probable en rugby et encore…), ce rapport tombe à 2,9%.
Il faut donc être très maladroit, insouciant ou malchanceux pour être convaincu de dopage quand on est rugbyman.
Gabarits des joueurs de rugby et physiologie de la musculation
Le rugby moderne professionnel et, par effet domino, le rugby semi amateur ou amateur, imposent aux joueurs d’être à la fois de plus en plus musclés tout en étant de plus en plus rapides. Le maitre mot du rugby moderne est donc la puissance. Pour Jean François Toussaint, chercheur à l’IRMES, plus que la taille et le poids, l’IMC (Indice de masse corporelle, calculé en divisant le poids par la taille au carré) donne une idée de l’engagement de la masse active, essentiellement de la masse musculaire.
Dans cette course à l’armement, on a donc aujourd’hui affaire à des sportifs de plus en plus costauds. L’IMC augmente dans toutes les disciplines qui engagent une grande puissance inertielle, mais aussi dans sports collectifs comme le rugby.
Les joueurs de rugby modernes dépassent désormais dangereusement les normes de développement idéal d’un être humain normal. Celles-ci furent établies en 2004 par le chercheur R. Fogel. C’était déjà le cas en 1977, mais dans une proportion bien moindre qu’en 2015.
Zones de développement idéal ZDI (taille/poids) dans la population générale
- 195 cm : entre 80 kg et 95 kg
- 190 cm : entre 76 kg et 85 kg
- 185 cm : entre 70 kg et 78 kg
- 180 cm : entre 65 kg et 75 kg
- 175 cm : entre 60 kg et 70 kg
Evolution du surpoid des joueurs de rugby de première division (1977 et 2015) / à la ZDI de R Fogel
- arrières en 1977, 174 cm pour 76 kg, soit plus 7 kg, en 2015, 185 cm pour 89 kg, soit plus 12 kg.
- ailiers en 1977, 174 cm pour 75 kg, soit plus 6 kg, en 2015, 189 cm pour 96 kg, soit plus 14 kg.
- centres en 1977, 171 cm pour 72 kg, soit plus 4 kg, en 2015, 181 cm pour 93 kg, soit plus 19 kg.
- N° 10 en 1977, 175 cm pour 75 kg, soit plus 5 kg, en 2015, 182 cm pour 86 kg, soit plus 11 kg.
- N°9 en 1977, 175 cm pour 75 kg, soit plus 5 kg, en 2015, 180 cm pour 85 kg, soit plus 10 kg.
- 3 ème ligne en 1977, 186 cm pour 89 kg, soit plus 11 kg, en 2015, 191 cm pour 106 kg, soit plus 20 kg.
- 2 ème ligne en 1977, 194 cm pour 101 kg, soit plus 10 kg, en 2015, 200 cm pour 118 kg, soit plus 18 kg.
- piliers en 1977, 178 cm pour 95 kg, soit plus 23 kg, en 2015, 190 cm pour 127 kg, soit plus 43 kg.
- talonneurs en 1977, 175 cm pour 85 kg, soit plus 15 kg, en 2015, 183 cm pour 105 kg, soit plus 29 kg.
Patrick Bacquaert, médecin en chef de l’IRBMS explique : « Avec un entraînement, il est possible de gagner 10 % à 15 % de muscle ». Au delà, on plafonne. Chacun est limité par sa génétique, qui lui confère une morphologie unique.
La population générale française a certes vu ses normes biométriques évoluer, mais loin des proportions des joueurs de rugby.
Quelle explication donner à une prise de masse supérieure ? Serait-il donc possible ou probable que la prise de substances dopantes, telles que les anabolisants et les stéroïdes qui, en favorisant la fixation des protéines, accentuent la prise de muscle, soit la seule explication recevable ? Nul ne peut l’affirmer. Du moins tant qu’un organisme indépendant des fédérations et des ligues professionnelles ne dirigera la lutte antidopage dans le rugby.
Il serait temps aussi que les joueurs pros et amateurs se dotent d’un syndicat puissant et indépendant des instances qui gouvernent le rugby pour défendre leurs intérêts sanitaires. Pour à minima lancer ce sujet tabou.
Malheureusement, ou heureusement (le corps comme signal d’alarme), la physiologie devient alors un frein à cette hypertrophie musculaire. En effet, les tendons qui servent d’attache aux muscles sur le squelette ne peuvent supporter une activité musculaire supérieure à leur limite sans finir par céder à un moment ou à un autre. Il s’ensuit une traumatologie des joueurs de rugby qui ressemble de plus en plus à celle des bodybuilders au niveau du rachis cervical, dorsal, lombo-sacré (discopathies, névralgies, hernies discales), de l’épaule (tendinopathies chroniques), acromio-claviculaires, du genou, du tendon d’achille etc.
Pour le docteur Patrick Bacquaert, « c’est une escroquerie de croire que l’on peut prendre autant de muscle en soulevant de la fonte. On ne parvient pas à de tels résultats sans prendre de substances ayant des effets ravageurs pour la santé et de plus dopantes ».
Le cas du clenbuterol
C’est est un béta-2 stimulant commercialisé en France en 1980. Il est à la base exclusivement réservé à l’usage vétérinaire, que ce soit pour traiter les troubles respiratoires des chevaux (Ventipulmin) ou comme myorelaxant pour faciliter la mise-bas chez les bovins (Planipart). Dès sa mise sur le marché, les éleveurs observent des gains musculaires importants sur les animaux traités. Il se répand progressivement dans les salles de sport. A cette époque, 106 certains pays comme l’Allemagne commencent à le commercialiser en tant qu’anti-asthmatique sous le nom de Spiropent. Le clenbutérol est dès lors utilisé dans le milieu du dopage en remplacement des stéroïdes anabolisants ou entre les cycles. Il est très efficace pour améliorer la masse sèche et perdre du tissu adipeux tout en restant indétectable jusqu’en 1992.
Mécanisme d’action : Les récepteurs béta-2 situés au niveau des fibres musculaires des poumons et des artères coronaires sont stimulés, ce qui entraîne une broncho-dilatation et une vasodilatation des artères qui augmente la perfusion sanguine et la fréquence cardiaque. Il augmente également l’activité métabolique du corps humain en favorisant la thermogenèse et l’oxydation du tissu adipeux.
Les effets secondaires en découlent directement, puisqu’il entraîne de manière dose-dépendante : nervosité, hypersudation, insomnie, voire en cas de forte dose des risques cardiovasculaires allant de la tachycardie jusqu’à l’hypertrophie cardiaque en cas d’utilisation prolongée. Une publication de 2013 rapporte deux cas d’ischémie cardiaque après consommation de clenbutérol.
Les doses thérapeutiques pour traiter l’asthme tournent autour de 0.02 mg à 0.04 mg journalier. En musculation, les usagers peuvent atteindre des doses de 0.10 mg par jour, voire plus ce qui présente un danger bien réel. Etant donné que le corps s’habitue et que le phénomène d’anabolisme musculaire se stabilise avec les prises, il n’est pas rare de voir des protocoles qui proposent une augmentation par paliers et des pauses entre les semaines de cure.
Des doses de cheval qui à court et moyen terme mettent en jeu la santé des joueurs. Sans double projet, n’ayant plus que le rugby comme seul horizon, les joueurs sont obligés de prendre 10, 15, 20 kg pour rester dans les standarts du rugby pro. N’ayant personne pour les défendre ou les guider, comment les tenir pour responsables des dérives d’un système qui les use et les broie lentement, mais surement ?
Le monde du rugby s’expose, s’il continue dans cette voie, à des lendemains qui déchanteront … sacrément. Du point de vue épidémiologique pour 100 fois plus de licenciés que la fédération française de culturisme, la FFR et plus largement World Rugby s’exposent à une cohorte massive et large de joueurs et ex joueurs malades de leur jeu.
Les mêmes causes ayant les mêmes effets, l’avenir sanitaire du jeu de Rugby ressemble à celui des bodybuilders ou des footballeurs américains : perspective peu reluisante.
Que font les instances qui gouvernent le rugby français et Provale concernant la lutte anti dopage ? Rien, pas vu pas pris, tout le monde fait l’autruche. Sauf, que le nombre de licenciés chute, l’affluence dans les stades stagne voire baisse et l’image du jeu de Rugby se détériore.
Les gens du rugby et les spectateurs ne sont pas dupes. Les joueurs sont abandonnés à leur funeste sort sanitaire.
Excellente lecture pour un 1er janvier…