Frédéric Bonnet
S’il n’y avait pas eu la troisième mi-temps, je ne sais pas si j’aurais eu envie de jouer les deux premières. Par Laurent Pardo.
Le rugby c’est le seul sport dans lequel les hommes se rencontrent. Dans les autres, ils ne font que se croiser. Par Lucien Mias.
Jean Lacouture écrivait « Il y a mille raisons d’aimer le rugby », la troisième mi-temps en est certainement une.
La troisième mi-temps symbole du jeu de Rugby, moment de convivialité partagée après un match entre coéquipiers, mais aussi si possible avec les adversaires, tend à disparaître, tout du moins dans le monde impitoyable et égo-centré du rugby professionnel.
Ce moment privilégié dont on connait le point de départ, mais rarement les prolongements, a toujours été un prétexte cathartique pour être ensemble. Un moyen de souder les hommes entre eux et d’apaiser les tensions générées par le combat.
Ce n’est pas pour rien que la grande majorité des sièges historiques des clubs français étaient des cafés ; suivant en cela la tradition des Club House anglais. Seul sport de combat collectif à célébrer les vertus du sacro-saint collectif, la troisième mi-temps est ontologique à la nature du jeu de Rugby. Elle lui donne pleinement sa dimension sociale. Sans troisième mi-temps, le combat rugbystique n’est plus que violence.
Troisième mi-temps et professionnalisme
Le professionnalisme a uniformisé des joueurs qui se ressemblent de plus en plus, que ce soit du point de vue de leur gabarit, mais aussi, et c’est plus grave, concernant leur personnalité et leur fonction sociale. Désormais, tous les joueurs, passés pour la plupart par les mêmes centres de formation, se connaissent. Ils se sont transformés en nomades plus attachés à leur agent qu’à un club, un village ou une ville.
Le rugby amateur permettait à des joueurs d’un même club, mais aux origines sociales très diverses de se rencontrer. Le médecin, le notaire, l’instituteur, l’agriculteur, l’employé ou l’ouvrier n’avaient comme réelle occasion de se cotoyer que le mardi ou le jeudi soir, pendant l’entrainement et lors des troisièmes mi-temps. Le jeu de Rugby, comme occasion de bien vivre sa jeunesse en découvrant l’autre, celui qui habite dans la vallée d’ à côté ou à l’autre bout de l’ovalie, tend à disparaître.
Histoire de la troisième mi-temps
Le jeu de Rugby fut pensé, codifié, puis propagé par de nombreux disciples Frans-Maçons du proviseur du collège de Rugby, Thomas Arnold, lui même Franc-Maçon. Ces maîtres fondateurs ont pris soin d’instiller dans le rugby les valeurs et les symboles de ce qu’ils vivaient dans leurs loges. Ils ont ainsi instauré la sacro sainte troisième mi-temps, équivalent des fameuses agapes qui cloturent immuablement les tenues maçonniques.
En effet, chaque tenue d’un atelier maçonnique est suivie d’un repas pris en commun par tous les participants : ce sont les agapes. Ethymologiquement, le terme signifie accueillir avec amitié et montrer de l’affection pour quelqu’un. C’est donc un rite de socialisation convivial, un lieu de » bonne chère et large soif », qui peut prendre un aspect trivial. Les conversations y sont libres et prolongent ce qui a été dit pendant la tenue. On n’imagine pas de Loge sans agape, il en de même en rugby. On ne peut pas concevoir de match de rugby sans troisième mi-temps.
De l’intérêt de la troisième mi-temps
En rugby, les matchs se terminent toujours, en tout cas la plupart du temps, par une poignée de main à cet autre, l’adversaire, celui avec lequel on se mesure. Suivent les troisièmes mi-temps qui permettent de prolonger le match que l’on ait perdu ou gagné. Souvent d’ailleurs s’y forgent les triomphes à venir. Le collectif sous le regard du capitaine, et la responsabilité qui en découle, préserve d’ailleurs les joueurs de dérives trop graves. Le secret qui entoure les agapes permet, pour le meilleur et pour le pire, de réguler ou régler les excès.
La troisième mi-temps débute dès le retour dans les vestiaires à la fin du match. Elle se continue traditionnellement au club house ou dans les cafés-restaurants affiliés au club. Ces agapes permettent de surmonter les épreuves, de fraterniser avec l’adversaire, de rassembler les joueurs autour d’une action et d’un moment qui confine finalement au sacré. C’est un rituel secret, qui permet les débordements de nourriture et de boissons, qui fixe et libère l’énergie de tous ces Hommes. Un désordre ritualisé et organisé.
Au temps du grand Béziers, celui des années 70 et surtout 80, de son stade mythique Sauclières et de son siège, le café de Pierre Danos, puis d’Armand Vaquerin, le Mondial, les joueurs de l’équipe première poursuivaient leur rencontre dans une arrière salle du mythique café. A Tyrosse, les joueurs se retrouvaient après les matchs au café Chez Beneyx, siège du club et centre nerveux de l’équipe, sorte de deuxième logis. De manière générale, dans tous les clubs de l’Ovalie française, on retrouvait ce genre de situation.
Certes par le passé, le rugby a eu son lot de débordements coupables, qui n’auraient pas du être tus. Mais, de manière générale ces effets indésirables grégaires bêtes et stupides, voires gravissimes (viols, accidents, violences) étaient cadrés soient par les leaders des équipes, soit par les dirigeants-présidents-maires des clubs. Ces entre-soient coupables n’étaient pas reluisants. Pour autant, ces incidents ne devraient pas faire oublier l’intérêt de la troisième mi-temps.
Les agapes collectives très majoritairement auto régulées ont laissé la place à des sorties par petits groupes qui échappent à tout contrôle. L’individualisme du rugby professionnel a ainsi engendré le scandale de la sortie mouvementée d’une partie des joueurs du XV de France en Ecosse. Au fond, le problème n’est pas que les joueurs soient sortis après une défaite. Mais bien, que cette sortie festive se soit faite sans l’assentiment des leaders de l’équipe, en particulier celui de son capitaine, Guilhem Guirado.
Au fond, le rugby en perdant sa troisième mi-temps, perd son âme, sa spécificité et sa raison d’être. L’effacer ou l’interdire, c’est une autre façon de tuer le jeu de Rugby. Durant les agapes ou la troisième mi-temps, le rugby et la Franc-Maçonnerie prolongent l’enfance. On y retrouve le sens du jeu et du rire, de la légèreté propre à la jeunesse. C’est une autre manière d’être au monde dans ce paradis perdu qu’est l’Ovalie ou la Loge maçonnique.
Le rugby amateur perpétue et préserve encore cette belle idée du jeu de Rugby. Mais, à terme, ne risque -t-il pas d’être contaminé, par mimétisme par le rugby professionnel ? Poser la question, c’est, un peu, y répondre.
C’est évident que le professionnalisme, tue l’ambiance des troisièmes mi-temps, maintenant elles se font entre joueurs de la même équipe, l’adversaire regagne au plus vite son chez soi. Il y a toujours quelques débordements qui parfois défraient la chronique, mais dans l’ensemble cela reste au club.
La 3 e mi-temps, où l’on fraternise avec l’adversaire du jour a forgé notre conviction que le Rugby est un sport « différent », et à donc contribué à nous donner envie de le perpétuer…
Dirigeants, il nous appartient d’en assurer la pérennité.
Un lieu ( proche du terrain), un temps (après la douche, l’esprit calmé, et la tête encore pleine des gestes réussis et de ceux qu’on a manqués), a manger, et à boire (sans excès alcoolisés, et des softs pour ceux qui préfèrent), et surtout, tous ensemble, joueurs, encadrants, officiels du match, dirigeants des deux Clubs, femmes ou copines et enfants des joueurs, supporters…., on fraternise, on rit, on chante, on commente et refait le match à l’infini, et on se projette tranquillement dans la semaine à venir, jusqu’a Dimanche prochain, et son match, qu’il faudra…gagner !
La 3 e mi-temps n’est plus le théâtre de débordements souvent stupides et toujours dangereux, et c’est tant mieux !
Mais c’est le point d’orgue du week end de Rugby, et ça doit le rester, chacun le faisant durer, naturellement, sans se forcer, selon l’humeur collective et la magie du jour…