Par Frédéric Bonnet pour
L’actualité avait remis en 2017 sur le devant de la scène le dopage dans le monde du rugby. Cette fois-ci, il était question de cocaïne. Encore une fois, certains médias, d’anciens joueurs et des pseudos spécialistes des addictions chimiques n’assenaient que des contre vérités à ce sujet. La défense est toute trouvée, les sportifs n’en prennent que pour un usage festif.
En 2021, la mise au ban des corticoïdes par l’Agence Mondiale Anti Dopage était très attendue. Il avait même été espéré que cette nouvelle réglementation s’applique dès 2019. Il aura finalement fallu attendre trois ans de plus pour aboutir à ces contraintes plus fortes dans l’utilisation des corticoïdes.
Lesquelles précisément ? Celles d’interdire les injections de cortico en compétition. En clair, fini ces victoires d’un athlète « shooté » par des injections faites à quelques minutes d’une finale mondiale ou olympique, et « officiellement » effectuées pour réduire les inflammations des tendons. Les corticoïdes étaient déjà interdits en compétition sous forme orale, rectale, intraveineuse ou intramusculaire.
Une vraie victoire pour l’anti-dopage ? Par vraiment, le dopage se pratiquant souvent hors compétition. Les crèmes et tricheurs aux corticoïdes ont donc de beaux jours devant eux. Comment exactement peut-on déterminer si les corticoïdes ont été pris avant la compétition ou pendant ? C’est toute la question.
La législation a aussi évolué concernant la cocaïne, et le cannabis. La cocaïne est-elle un produit interdit par les règles anti-dopage ? Cela peut paraître absurde, mais oui et non. Depuis janvier 2021, la règle a changé : oui, lorsqu’elle est utilisée en compétition ; non, lorsqu’elle est utilisée hors compétition. Une règle compliquée à appliquer … Avec par ricochet un changement radical sur les suspensions. Un contrôle positif à la cocaïne valait 4 ans, il ne sera plus sanctionné que par 3 mois.
C’est donc désormais la même règle qui s’applique aussi pour le cannabis. Un contrôle positif au cannabis valait 2 ans, il vaut désormais trois mois de suspension.
Contrairement aux dernières affaires de dopage dans le Rugby, les langues commencent à se délier. L’accumulation des scandales en très peu de temps et/ou les changements à la tête de la gouvernance de la FFR, allez savoir ! Toujours est-il, que l’ancien médecin en charge, entre autre, de la lutte contre le dopage à la FFR, M. Christian Bagate, affirmait la semaine dernière dans le Parisien qu’il y a beaucoup plus de dopage à la cocaïne dans le rugby qu’on ne le pense.
Des enquêtes avaient d’ailleurs été menées contre l’utilisation de ce produit, associé à la cortisone ou à des amphétamines, en période de préparation et d’entraînement des rugbymen. Le hic, c’est qu’ils n’avaient pas pu condamner les fautifs car les prélèvements avaient été réalisés hors compétition. La seule question est donc : quel est le nombre de ces joueurs fautifs ?
Christian Bagate a même surnommé cette pratique de « dopage du lundi-mardi-mercredi » pour permettre aux joueurs de récupérer plus vite et de supporter les hautes charges d’entrainement et de préparation physique qu’impose le Rugby PRO. L’avantage de la prise de cocaïne réside en plus dans le fait qu’elle est rapidement éliminée par le corps. Un dopage ni vu ni connu…
Le dernier rapport de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage) pour l’année 2016 déclare que la prise de cocaïne est préoccupante dans le Rugby. Dans l’Equipe, un conseiller scientifique de l’AFLD pense que la consommation de cocaïne est devenus courante et qu’elle n’est pas seulement récréative.
Rappelons que cela fait 15 ans (décret du 27 mars 2002) que les stimulants interdits en compétition (cocaïne, amphétamines) sont autorisés à l’entrainement ! Quelle vaste hypocrisie et quel message paradoxal adressé aux joueurs : le dopage est interdit, mais vous avez le droit de prendre de la cocaïne et des amphets, donc des produits dopants, à l’entrainement pour diminuer la douleur et repousser le surentrainement à l’extreme limite.
Le président du syndicat des joueurs, M. Robins Tchale-Watchou, abonde d’ailleurs indirectement, et c’est une première, dans son sens. Il affirme qu’il ne s’agit pas de se contenter de dire qu’il s’agit de cas isolés, mais bien d’expliquer aux rugbymen, jeunes et séniors, tous les dangers des produits dopants. En clair, pour Provale, ce ne sont pas des cas isolés. Alors, à quand un accompagnement des rugbymen à ce sujet ? Je rajouterai de tous les encadrants de Rugby ?
La cocaïne
Obtenue à partir de la distillation des feuilles de coca, c’est en plus d’être un produit dopant, une substance illégale en France. C’est un psychostimulant comme les amphétamines qui est fumé ou injecté. Il agit très rapidement (10 minutes), mais ses effets durent en moyenne 30 minutes seulement.
Elle est utilisé comme produit dopant pour différentes raisons : diminution, parfois totale, de la fatigue musculaire, de la faim et de l’envie de dormir ; augmentation de la confiance en soi (sentiment d’invincibilité), de la mémoire et de la concentration, accélération de la réflexion et sentiment d’euphorie. Les personnes qui en prennent ont le sentiment d’être des surhommes et de pouvoir s’entrainer ou jouer plus longtemps sans ressentir de fatigue. L’abolition du signal d’alarme naturel qu’est la fatigue, entraine les sportifs a continué leur effort jusqu’à l’épuisement.
Comme les amphétamines la cocaïne entraine une dépendance, des troubles du rythme cardiaque, une hypertension artérielle, des infarctus, des irritations nasales (si sniffé), des crises convulsives. A long terme, des accidents vasculaires cérébraux, une insuffisance cardiaque, des troubles du sommeil, des pertes d’appétit, des psychose et des épisodes dépressifs.
Anecdote sportive : entre le XIXe et le XXe siècle les fioles (appelée couramment « topettes », petite toupie en picard) de Choppy Warburton, ancien coureur à pied, faisaient fureurs dans le monde sportif. Elles contenaient un mélange de caféine, de strychnine, de cocaïne et même d’arsenic ! Véritable élixir de vitesse, les cyclistes en buvaient sans retenue.
Jack London, romancier et journaliste sur le Tour de France, relate dans son célèbre article « les forçats de la route » que certains cyclistes avaient dans leur sacoche des fioles avec de la cocaïne pour les yeux et du chloroforme pour les gencives !
Les corticostéroïdes
Les corticostéroïdes (cortisone) sont des hormones produites par les glandes surrénales. Ils ont une action anti-inflammatoire et sont utilisés sous forme de médicaments contre les maladies auto-immunes et les rhumatismes sous forme d’injection ou par voie orale. Certains ont un effet court (Prednisone, Prednisolone), d’autres ont un effet prolongé (Bétaméthasone, Dexaméthasone, Cortivazol).
Ils ont été mis sur le marché médical en 1936 et utilisés comme produits dopants dès 1960. Ils peuvent être détournés de leur utilisation médicale pour leurs effets euphorisants, pour retarder la sensation de fatigue, se sentir plus fort et pour leur capacité à perdre de la masse grasse. Mais gare aux effets indésirables nombreux et graves.
Les effets indésirables des corticostéroïdes sont nombreux : Œdèmes et augmentation du poids, élévation de la glycémie, hypertension artérielle, diminution des anticorps, brûlures et ulcération gastro-intestinale, fractures, embolies artérielles, crampes musculaires, atrophie musculaire, glaucome, cataracte, convulsions, changement d’humeur, insomnies et psychoses.
Ces effets indésirables sont irréversibles lorsque la corticothérapie est utilisée au long court.
Ces médicaments étaient jugés tellement dangereux pour la santé, que des armées de pharmacologues ont passé des dizaines d’années à inventer leurs descendants moins toxiques, mais moins efficaces, les Anti Inflammatoires Non Stéroïdiens (Aspirine, ibuprofène …)
Anecdote sportive
Dès 1997, Max Godemet, DTN de la FFR, disait que, lors de la défaite de l’équipe française de rugby contre les Sud af 52 à 10, dix huit joueurs Springboks blessés étaient sous corticoïdes injectable ! Des joueurs asthmatiques traités à des doses 100 supérieures aux doses thérapeutiques…
Plus récemment, des hackers russes ont piraté les fichiers de l’Agence mondiale antidopage (AMA) et publié les données de nombreux athlètes de premier plan ayant participé aux Jeux de Rio en août dernier. On apprend ainsi que sous couvert d’Autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (AUT), ces sportifs pouvaient prendre des produits dopants en toute légalité.
Dans L’Equipe du 18 septembre, on découvre que Wiggo a reçu des injections d’un corticoïde interdit – la triamcinolone – pour traiter un asthme avant les Tours 2011, 2012 et le Giro 2013. Pour se justifier, le cycliste britannique explique que : « l’injection de triamcinolone est un traitement intramusculaire pour l’asthme approuvé par les autorités sportives » et qu’il avait une AUT pour ce motif. Sauf que la triamcinolone en intramusculaire n’est pas indiquée dans le traitement de l’asthme mais de la rhinite allergique ainsi que de problèmes rhumatologiques ce qui de toute évidence n’est pas la même chose.
Pour illustrer ces dérapages, le témoignage de Philippe Gaumont, licencié de l’équipe Cofidis, est éclairant :
« Il n’y a pas de produits masquants, seulement des « ordonnances masquantes ».
Pour la cortisone ou les corticoïdes, il suffit d’avoir une bonne justification thérapeutique pour que les contrôles positifs deviennent négatifs. Voilà comment ça se passe : le médecin de l’équipe t’envoie voir un allergologue, c’est obligatoire. Celui-ci constate que tu es sensible aux acariens et te prescrit un spray. On avait la consigne à chaque fois de demander à tout prix du Nasacort® (triamcinolone acétonide).
Pourquoi ? Car c’est un spray qui permet de masquer la cortisone. Quand on va au contrôle, on déclare qu’on est allergique aux acariens, qu’on a une prescription de Nasacort® et qu’on en a pris le matin par voie nasale. Et à côté, on a pu se faire tranquillement une injection de Kenacort® (produit interdit contenant lui aussi de la triamcinolone acétonide) car, au contrôle, on ne sait pas faire la différence entre le spray et l’injection.
Ensuite, le médecin t’envoie vers un dermatologue. Tu te grattes un peu les testicules avec du sel pour lui montrer que tu as des rougeurs et il te prescrit six mois de Diprosone® (bétaméthasone) en pommade. Comme ça, derrière tu peux te faire du Diprostène® (interdit, contenant lui aussi de la bétaméthasone) en injectable sans risquer non plus d’être positif. » [Le Monde, 15.03.2004]
En terme de probabilité, pour une fenêtre de détection de 48 heures, une sensibilité des tests d’à peine 40 %, 12 contrôles par an et un dopage en continu, le rapport du risque d’être contrôlé positif est d’un sur trois. Mais pour un contrôle par an (cas le plus fréquent et probable en rugby), ce rapport est de 2,9 %.
Il faut donc être très maladroit, insouciant ou malchanceux pour être convaincu de dopage quand on est rugbyman. Certes. Sportivement 3 % de malchance d’être démasqué et pris pour dopage, le risque est faible. Mais médicalement, il y a 100 % de chance d’en payer un prix très lourd.
La seule question à se poser est donc : pourquoi mettre en jeu sa santé pour un sport, une activité, un métier que TOUS les joueurs et joueuses quitteront à moins de 40 ans ? Qui se souciera de leur santé quand ils auront quitté les pelouses de l’Ovalie ? La quête du bouclier gravé par Brennus, mais inventé par Coubertin, est une aventure humaine, pas le sacrifice d’une génération de joueurs. Les rugbymen ne sont pas des cobayes au service de l’industrie pharmaceutique !!!!!!!!!!!
Bien entendu les intérêts financiers de la LNR sont diamétralement opposés à ceux de la santé des joueurs. Le CAC 14 ne fera donc rien pour lutter contre le dopage, hormis clouer au pilori deux ou trois lampistes, ceci d’autant plus qu’ils sont étrangers.
Mais qu’en est-il de la FFR ? Pourquoi ne reconnait-elle pas le fléau que représente le dopage dans le Rugby moderne ? Pourquoi ne met-elle pas en place des programmes de sensibilisation et d’information adaptés ? Pourquoi ne crée-t-elle pas une commission de lutte contre le dopage réellement indépendante dénuée de tout conflit d’intérêt ?