Par Frédéric Bonnet
Merci à André-Xavier BIGARD, conseiller scientifique du Président de l’AFLD, à Yves LE BOUC, Service d’Explorations Fonctionnelles Endocriniennes Hôpital Armand-Trousseau et à Michel AUDRAN, faculté de pharmacie de l’Université Montpellier-I.
De tout temps le dopage a suivi de très près les progrès réalisés dans le domaine médical et pharmaceutique. Ainsi, régulièrement, de nouvelles substances ayant des potentialités dopantes ou masquantes viennent augmenter la liste des substances et méthodes interdites. Si une des particularités du dopage réside dans le fait que l’arrivée de nouvelles substances ne chasse pas l’usage des plus anciennes : les anabolisants, amphétamines, cocaïne, corticostéroïdes, narcotiques, canabinoïdes, hormones de croissance, testostérone, EPO et autres diurétiques ne sont pas prêt de disparaitre. Toutefois, la quête perpétuelle de performance pousse les dopeurs et les dopés à se tourner vers des substances médicamenteuses non encore commercialisées tout simplement parce quelles ne sont pas encore détectables. En rugby, les compléments alimentaires, comme avant la créatine, monopolisent l’attention des médias, pour mieux masquer la prise de produits autrement plus puissants, efficaces, mais dangereux. Pas vu, pas pris ?
Jusqu’à présent le dopage que nous connaissions consistait à détourner des médicaments à usage humain ou vétérinaire de leur usage médical. Ce phénomène existe toujours, mais les entourages sportifs des joueurs et des équipes les plus riches utilisent désormais des substances pharmaceutiques en cours d’essai clinique, bien avant leur mise sur le marché. Certains laboratoires complices vont même jusqu’à créer des médicaments uniquement destinés à échapper au contrôle antidopage.
Ces substances sont relativement faciles à se procurer sur internet et l’on trouve même des conseils pour leur utilisation. Cette facilité d’accès à des produits dont la toxicité est soit avérée, soit encore mal connue, dont la qualité est douteuse et dont certains n’ont encore jamais été testés chez l’homme représente un véritable enjeu de santé publique.
Par ailleurs, compte tenu du nombre croissant de substances à rechercher, la lutte anti dopage ne peut plus reposer exclusivement sur le dépistage direct, mais doit faire appel à des méthodes indirectes basées sur les modifications biologiques produites par la substance incriminée dans l’organisme (passeport biologique, biomarqueurs, méthodes omiques qui peuvent repérer un muscle dopé à travers des modifications des gènes exprimés).
Les nouveaux anabolisants : les modulateurs sélectifs des récepteurs aux androgènes ou SARMs
Ces produits sont des modulateurs sélectifs des récepteurs androgéniques. Ils ont donc des propriétés anabolisantes, puisque ces substances synthétiques imitent l’action de la testostérone. Contrairement aux anabolisants classiques, ils n’auraient pas d’action sur la prostate chez l’homme et peu d’effet virilisant chez la femme. Du moins, c’est l’argument marketing mis en avant : avoir les avantages des stéroïdes, sans les effets indésirables.
On retrouve de nombreuses molécules sur le marché des produits dopants cachés dans des compléments alimentaires. Les substances sont classées en fonction de leur demi vie d’élimination (temps pour que la moitié de la subsatnce a été éliminée de l’organisme) :
- andarine (GSX-007) : utilisée ponctuellement à des doses de 50 à 75 mg/jour. Demie vie courte de 3 à 4 h.
- stenabolic (SR-9009) : utilisée ponctuellement à des doses de 30 mg par jour. Demie vie de 4 à 5 heures.
- ibutamoren (MK-677) : utilisée ponctuellement à des doses de 25 mg/jour. demie vie de 6 h.
- cardarine (GW-50516) : utilisée à des doses de 10 mg/jour pendant 8 semaines. Demie vie de 16-24 h.
- testolone (RAD-140) : utilisée à des doses de 20 à 30 mg/jour pendant 6 semaines. Demie vie de 20h.
- ostarine (MK-2866) : utilisée à des doses de 25 mg/jour pendant 3 à 8 semaines. Demie vie de 24 h.
- ligandrol (LGD-4033) : utilisée à des doses de 10 à 20 mg/jour pendant 3 à 6 semaines. Demie vie de 24 à 36 heures.
Les culturistes suivent des protocoles dits d’empilement en associant par exemple 3 molécules à des doses variables selon la masse musculaire souhaitée.
- Andarine 50-Ostarine 25-Ligandrol 25
- Testolone 20- Nutrobol 25-Ligandrol 25
- Andarine 50- Cardarine 20- Ostarine 25-Ligandrol 10
Voire lors d’un régime de coupe (perte de poids-lipolyse-fonte graisseuse) :
- Ostarine 25- Andarine 50- Cardarine 20- Stenabolic 30
Un certain nombre de ces substances sont en cours d’essai clinique, d’autre sont d’ors et déjà commercialisées. Deux au moins ont été retrouvées lors de contrôles antidopage. Un de ces produits a été abandonné suite à des effets secondaires graves lors des essais cliniques (SARM-S4). L’exemple du LGD-033, un SARM en étude clinique, illustre bien la rapidité avec laquelle les produits en cours d’étude se retrouvent sur internet : un mois et demi après une publication montrant les effets de ce composé sur la masse musculaire de jeunes adultes volontaires sains, ce composé était proposé sur internet.
Ces molécules sont d’ailleurs interdites par l’AMA.
L’évaluation des effets indésirables de cette nouvelle classe de molécule ne se fera que dans le temps.
La nageuse australienne Shayna Jack, détentrice du record du relai 4X100 de natation, a été contrôlée positive au ligandrol lors d’un test hors compétition effectué par l’organisme australien antidopage (Asada) en juin.
Les nouvelles hormones de croissances : l’IGF-1
On trouve de nombreux secrétaguogues de cette hormone. Si leur effet sur la performance n’est pas prouvé, leur usage permet au moins de masquer la prise de GH. Dans une récente publication, des chercheurs allemands, étudiant les progrès réalisés dans les épreuves de sprint se demandent si l’IGF-1 n’est pas rentré dans l’arène du dopage.
Les nouvelles EPO : les stabilisateurs de l’HIF-2 (inhibiteur des propyls hydrolases)
Depuis quelques années on trouve déjà :
- les epoetines ou EPO recombinante humaine de première génération, puis deuxième (ARANESP) et troisième (CERA) génération.
- les biosimilaires, sorte de génériques de ces epoétines
- des copies (plus de 130 molécules à ce jour), approuvées ou non dans différents pays et dont la pureté est très discutable avec de sérieux problèmes d’allergie.
- le premier mimétique de l’EPO, Hematide ou Peguinetaside ou Omontys, qui a reçu l’agrément de la FDA il y a juste un an et disponible à moindre coût que l’EPO.
- Le chlorure de cobalt, considéré comme toxique mais néanmoins très efficace pour stimuler l’érythropoïèse
- Et les tout récent stabilisateurs de l’HIF-2.
Ces stabilisateurs de l’HIF-2 sont en essais cliniques de phase 2/3, mais pour certaines déjà disponibles sous forme de copies sur internet. Le problème avec les stabilisateurs d’HIF est qu’ils stimulent aussi une centaine d’autres gènes et que leurs effets toxiques sont encore mal connus.
Le nouveau AICAR : les modulateurs de l’utilisation des substrats énergétiques, les PPARs
Parmi les modulateurs qui permettent d’orienter le type de substrat utilisé par les mitochondries, les facteurs de transcription spécifiques, dénommés les PPARs, sont les plus à la mode. Ils accroissent l’utilisation des acides gras par la mitochondrie des fibres musculaires et donc, à terme, améliorent les performances en endurance.
Les PPARs sont des composés qui, lorsqu’ils sont activés, se fixent sur la zone promotrice d’expression de gènes cibles, et, in fine, vont permettre de produire les protéines qui agiront sur le métabolisme des fibres musculaires.
Il existe également des activateurs synthétiques remplaçants ces acides gras, appelés agonistes. Ces produits, actuellement étudiés au sein de laboratoires, devraient être particulièrement intéressants dans le traitement des états de surcharge pondérale. Mais bien entendu leur utilisation risque d’être détournée à des fins de dopage.
En effet, ces agonistes ont une incidence sur la performance. L’augmentation de l’expression de PPAR-δ dans un muscle squelettique provoque, sur des modèles animaux génétiquement modifiés, un accroissement du temps de course maximal sur tapis roulant ou de la distance parcourue.
Ces produits sont déjà disponibles sur internet et la communauté scientifique pressent des effets secondaires très graves en cas d’utilisation non maîtrisée de ces composants, notamment sur le métabolisme hépatique et pancréatique.
Augmenter la force et la puissance musculaire, stimuler l’oxygénation pendant l’effort ou améliorer la récupération des joueurs : toutes ces qualités sont primordiales dans de nombreux sports. Mis à part le prix prohibitif des nouvelles molécules, il y a toutes les chances que les sportifs les mieux payés et les moins regardant sur leur santé, ceux et celles qui pratiquent les sports les plus lucratifs ne se privent pas de les utiliser. Sauf que dans dix ans, ces molécules seront détectables sur des échantillons précieusement conservés dans les frigos de l’AFLD…Pas vu, mais pris au bout de dix ans.
Super article Frédéric ! Tu as l’air très au courant de l’actualité concernant le dopage.
Quand tu parles de méthodes indirectes, tu fais référence au passeport biologique… Est-ce différent du suivi longitudinal ? Et sais-tu si dans les nouveaux accords FFR-LNR il est question de l’amélioration de ce suivi longitudinal ? Car le cyclisme a l’air en avance sur ce point précis, ou plutôt nous très en retard !!!
Quand tu dis que ces « nouveaux médicaments » en essai clinique sont déjà disponible sur le net, c’est effrayant de rapidité !
Pour conclure, quant à la possibilité à l’AFLD de contrôler rétro-activement ces nouvelles molécules, et envisager une sanction sportive à posteriori (10 ans ou plus), ce qui me semble le plus inquiétant (de mon point de vue), c’est bien l’impact sur la santé de ces joueurs tentés par la nouvelle pilule miracle, et l’impact sur leur santé dans 10 ans… et le restant de leur vie, si cette dernière est longue, je l’espère !