Par Frédéric Bonnet
Les symboles du jeu de Rugby III : le triangle
- Partie I : Les poteaux en forme de H http://rugby-en-melee.com/lhistoire-symbolique-poteaux-de-rugby-h/
- Partie II : La chaine d’Union ou le cercle dans le jeu de Rugby http://rugby-en-melee.com/la-chaine-dunion-ou-le-cercle-des-joueurs-de-rugby/
Les promoteurs du spectacle rugbystique contemporain et beaucoup de ses acteurs, joueurs, entraineurs, dirigeants actuels du CAC 14, pensent jouer une pièce de théâtre simplement très lucrative et divertissante pour le bon peuple français. Sauf que c’est oublier que ce jeu qui vient de l’Antiquité fut codifié et façonné au XIX è siècle par un enseignant humaniste et franc maçon Thomas Arnold proviseur du collège de Rugby. Depuis lors, les récits rugbystiques content les exploits des différents héros qui peuplent la mythologie de ce sport roi.
Regardez attentivement un match de rugby : vous rendrez compte qu’au milieu du chaos apparent, la forme du triangle et le chiffre trois organisent l’espace de jeu pour lui donner une clarté insoupçonnée.
Comme la forme circulaire des joueurs qui se mettent régulièrement en ronde, la mêlée, le ballon ovale, les temples que sont les stades de rugby, les essais, le chiffre trois, la troisième mi-temps, les poteaux en forme de H et comme de manière générale l’imaginerie rugbystique, le triangle symbolise l’esprit du jeu de Rugby.
La dimension symbolique et secrète du Haka en triangle des All Blacks en représente peut être une incarnation parfaite.
En instaurant toute une série de rites, les francs-maçons et les joueurs de rugby ont en commun le fait d’avoir élaboré une construction intellectuelle complexe visant uniquement à déterminer un idéal de vie. Ces rites disent le mythe né à Rugby. Ils en reprennent quelques passages emblématiques choisis au fil des aventures de ce jeu.
Tous les dimanches, les joueurs et les amoureux du rugby vivent le temps d’un match ce rite au travers de tous ses symboles et de ces valeurs. Symboles et valeurs qui sont cultivés générations après générations, depuis que la belle idée a germé dans le cerveau de ses quelques grands fondateurs francs-maçons. Des frères qui ont semé, puis fait germer la graine ovale. Ils continuent d’ailleurs d’en surveiller la croissance, non sans crainte certainement. Il faut dire que la jeu de Rugby a tendance à pousser de manière de plus en plus anarchique depuis qu’on lui a ajouté l’engrais du professionnalisme.
On peut ainsi écrire qu‘en quelque sorte le jeu de Rugby est un des rites franc-maçon. Passer de l’ombre et du secret des vestiaires à la lumière de la pelouse des cathédrales que figures les stades de rugby, c’est en soi parcourir un chemin initiatique proche de celui que doit parcourir chaque frère d’une loge maçonnique.
Les pratiquants du rite rugbystique se rassemblent et se reconnaissent dans une même visions de valeurs, de principes, dans une même vision de la place et du rôle de l’Homme. Cette construction repose sur des textes fondateurs auxquels vont venir s’adjoindre des récits légendaires des évènements marquants et des héros qui en font son Histoire et lui donne sa dimension sacrée.
La croyance des joueurs et des amoureux du rugby en ces différents textes fabrique une mémoire commune et cet ensemble constitue le rite rugbystique. Ce rite se pratique, se transmet et s’enseigne via le rituel que constitue un match de rugby.
Comme dans la franc-maçonnerie, les joueurs et les amoureux du rugby aiment à lui conférer une dimension sacrée ; avec intangiblement une unité de temps (celui de l’avant match, du match et de la troisième mi-temps) et de lieu, le stade (tribune, vestiaires, loges, pelouse).
A l’image de la franc-maçonnerie, le langage du rugby est un langage d’initié, la terminologie regroupe à la fois les règles, les hommes, les actions, les attitudes, bref la manière d’Etre dans la vie de joueur et d’homme. Le rugby va donc bien au-delà du jeu lui-même. Sa dimension symbolique constitue son langage.
Comme la franc-maçonnerie, le rugby est une société pétrie de traditions fondée sur la fraternité. Le tutoiement est la règle. Il est un élément d’importance puisqu’il instaure d’emblée un climat de confiance et d’égalité. Comme en rugby où le capitaine n’est un supérieur hiérarchique, mais plutôt celui qui détient le plus de savoir. Le vénérable franc-maçon ou le capitaine en rugby n’ont d’autorité que morale. Il est une façon d’être ensemble, une forme de sociabilité, de regrouper au-delà des différences sociales, politiques, religieuses et, quand il est amateur, d’activités professionnelles. Le rugby forge des fraternités durables, la solidarité légendaire des joueurs de rugby se retrouvant en dehors des terrains.
Il a une date, un père spirituel et un lieu de naissance officiel (1845, Thomas Arnold et Rugby pour le jeu ; 1717, James Anderson et Londres pour la franc-maçonnerie), mais ses racines sont infiniment plus lointaines.
Comme la franc-maçonnerie, le rugby tente en permanence de rassembler ce qui est épars en s’appuyant sur des rituels et une dimension sacrée faisant en permanence appel au symbolisme de la construction. Ainsi, il s’ouvre une porte sur l’infini.Comme pour la franc-maçonnerie, la symbolique rugbystique ne sert pas que de signe de reconnaissance (sumbolon, réunir deux moitiés d’un objet fragmenté), mais aussi et surtout à donner du sens, donner à réfléchir, donner à voir, donner à rêver et in fine réunir (sumballein, jeter ensemble, lancer ensemble). Elle fait du rugby une culture, une communauté d’esprit, une microsociété
On retrouve dans le Rugby trois notions essentielles à la Franc-Maçonnerie :
- la formation des individus, la tentative perpétuelle de leur amélioration pour mieux penser la complexité du monde et mieux servir la collectivité,
- le combat pour défendre des valeurs fondatrices.
- la transmission orale privilégiée.
Le Rugby présente encore pour le grand public, et ce malgré ses dérives actuelles, l’image d’un sport véhiculant des valeurs de combat, de fidélité, de courage, de force physique, de solidarité, de respect des autres et de fraternité.
Toutefois, il possède également l’image d’un jeu certes intelligent (comme le disait Françoise Sagan), mais aussi compliqué et inaccessible au premier abord. Avec ses règles complexes, voire confuses, sa propension à privilégier l’esprit de la règle (et donc ses interprétations) à leur application à la lettre, son langage symbolique singulier et sa pratique codée, il nécessite d’être introduit et initié pour l’apprécier pleinement. Antoine Béguère, troisième ligne du FC Lourdes et sénateur français, n’écrivait-il pas qu’un joueur de rugby avait la chance d’avoir deux vies : celle d’Homme et celle d’initié !
Les rituels du Rugby, qui peuvent, à l’instar de ceux des Francs-Maçons, paraitre dérisoires aux néophytes, ne sont rien d’autre qu’une manière de réunir les hommes dans toute leur diversité intellectuelle et physique au sein d’un collectif tourné vers un but partagé.
Les pays, territoires, régions (le Sud Ouest en France) ou Universités (de Paris à Bordeaux) où le Rugby est pratiqué ont toujours un lien avec l’histoire britannique.
Le chiffre trois
Pour les francs-maçons, le trois est la manifestation du Un (la force universelle) par le Deux (le Soleil et la Lune). Il n’est pas anodin dans la symbolique franc-maçonne.
Il renvoie au mythe d’Hiram, reflet de l’architecte divin, et des trois vertus qui créent et soutiennent le temple de l’Eternel : la sagesse pour lutter contre le fanatisme, l’intelligence pour lutter contre les richesses matérialistes et le savoir pour lutter contre l’ignorance. Ces trois vertus sont symbolisées par les trois piliers qui soutiennent le temple idéal. Le pilier Force correspond à l’intelligence, le pilier Sagesse, la sagesse de manière évidente et le pilier Beauté renvoie au savoir, tel que Platon le défini (une analogie avec la science).
Chaque loge maçonnique, équivalent du stade de rugby, comprend d’ailleurs trois principaux officiers : le maître de la Loge, qui allume le pilier Sagesse, le premier surveillant, qui allume le pilier Force et le second surveillant, qui allume le pilier Beauté.
Le profane ou l’apprenti, se voit posé trois questions à sa sortie du cabinet de réflexion.
Le Triangle ou Delta évoque l’idée de la Trinité, ses trois côtés sont traduit par la formule : bien penser, bien dire, bien faire ou encore Liberté, Egalité, Fraternité ou encore camaraderie, charité et intégrité. C’est un triangle équilatéral au centre duquel se trouve un œil. L’œil de la conscience et de la lucidité. Le plus souvent se trouve au centre de ce triangle, le Delta un œil. L’œil symétrique qui voit tout et qui symbolise la source de la lumière.
Enfin, pour constituer une loge maçonnique, il faut à minima être 3.
On pourrait faire le parallèle entre ces trois piliers de la franc-maçonnerie et les avants de notre première ligne. Le talonneur les bras en croix, se sacrifie en fonçant tête baissée dans le pack adverse. Le pilier droit et le talonneur qui engagent leurs deux épaules sont les deux pierres angulaires de l’édifice de la mêlée. Dans une mêlée, les avants peuvent stabiliser ou écrouler la construction. Ils se prennent par les épaules dans l’obscurité de la mêlée (une fois celle-ci engagée, les huit joueurs sont aveugles, les yeux tournés vers la pelouse) et l’union des forces produit une alchimie sacrée. Les deux immenses deuxièmes lignes sont d’ailleurs appelés les poutres maitresses du pack.
Le paquet des huit avants est aussi organisé en trois lignes : la première (trois piliers dont un talonneur), la deuxième (les deux poutres stabilisatrices) et la troisième (avec le troisième centre comme clef de voute et les deux troisièmes lignes volants). Le piler droit qui porte le numéro 3 est nommé la pierre angulaire de la cathédrale que représente une mêlée.
Chaque équipe de 15 joueurs est organisée en trois lignes : les avants (au nombre de 8), les demis (au nombre de deux) et les arrières (au nombre de 5).
A l’origine l’essai valait 3 points. Les pénalités et le drop goal rapportent toujours 3 points.
Le rugby s’est même inventé une troisième mi-temps, que l’on peut rapprocher des agapes.
La dimension symbolique secrète du Haka en triangle des All Blacks
La Franc maçonnerie anglaise est majoritairement aristocrate. Elle a donc largement participé au développement d’un des progrès majeurs des moyens de communication du XIX è siècle : le chemin de fer.
En envoyant partout dans le monde ses ingénieurs pour aider les pays à installer leur propre réseau de voix ferrés pour développer leurs infrastructures nécessaires aux progrès agricoles et industriels, les anglais ont concomitamment importé leur culture, donc entre autre le rugby.
Chez les kiwis, Charles John Munro, fils du président de la Chambre des communes de Nouvelle Zélande, amena le rugby dans le village de Nelson dans lîle Sud du pays en 1860. Il transmis son expérience scolaire anglaise et peut s’honorer d’être le « William Webb Ellis néo-zélandais ». C’est Uchter John Mark, cinquième conte de Ranfurly et Franc maçon reconnu qui offra d’ailleurs le célèbre bouclier néo-Zélandais, le Ranfurly Shield.
Enfin, tous les ans depuis 1931, la Bledisloe Cup est remise au vainqueur d’un match unique ou d’une série de matchs opposant les équipes nationales d’Australie et de Nouvelle Zélande. Ce trophée porte le nom de Lord Bledisloe, gouverneur général de Nouvelle Zélande dans les années 30 et grand maître de la Country Grand Loge.
Le Haka, chant guerrier chorégraphié des Maoris de l’Hémisphère Sud, est devenu un symbole depuis plus d’un siècle de l’équipe des All Blacks. Il peut se décliner en deux versions : le Ka Mate ou le Kapa o Pango.
Son exécution a beaucoup évolué au fil des ans. Pour créer sa dernière version qui date de 2015 et de la Coupe du monde de rugby en Angleterre, le conseil des sages des joueurs All Blacks a choisi une forme géométrique symboliquement très chargée : le triangle.
Le cercle des joueurs de Rugby Néo Zélandais n’a jamais voulu dévoiler les raisons de ce choix. Quand on connait le gout des joueurs de l’Hémisphère Sud pour les rituels et les symboles, il est évident que le choix du triangle met en lumière une volonté renouvelée et accentuée d’inscrire leur équipe dans une dimension sacrée.
Au sein de ce triangle noir, les positions des 23 joueurs sont immuables. Les leaders sont systématiquement placés au niveau de la pointe du triangle qui est dirigée vers l’adversaire, capitaine en tête (sur l’image ci-dessus on trouve en première ligne le capitaine Mc Caw, juste devant les deux autres leaders Read et Nonu placés dans son dos vers l’extérieur). La troisième ligne compte trois joueurs, la quatrième quatre joueurs, la cinquième cinq et la sixième … sept.
Soit 22 joueurs, plus un meneur électron libre qui dirige le Haka et qui est toujours un joueur au sang maori. Il est le seul à rester debout quand les joueurs passent à genoux lors des Kapa o Pango.
Au cours de leur histoire, les All Blacks ont toujours choisi des formes géométriques pour exécuter leur Haka.
La ligne face au public de 1920 à 1950.
La ligne face à l’adversaire au milieu du terrai dans les années 70
L’arc de cercle des années 80-90
Le rectangle à 3 x 5 dès 1999
Le XV de France a toujours tenté de contrer symboliquement le Haka lorsqu’ils affrontaient les All Blacks. Ils ont même allé jusqu’à inventer leur propre forme géométrique : la flèche bleue, même s’ils sont vêtus de blanc. Harinordoquy et Poux étaient placés immédiatement dans le dos de leur capitaine Dusautoir.
Le nombre XV
Le premier match international entre l’Ecosse et l’Angleterre en 1870 au Kennington Oval se disputa à 20 contre 20. La Rugby Football Union n’adopta le nombre XV qu’en 1877. Un clin d’œil aux nombres impairs chers aux francs-maçons et seul à même de permettre des formes géométriques triangulaires sur les pelouses.
Avant d’entrer dans le Temple, les frères francs-maçons doivent gravir quinze marches, références au quinze psaumes de la tradition hébraïque (dits psaumes des montées ou des degrés). Ce nombre quinze symbolique d’une ascension vers les cimes sont à rappocher des quinze jours qui mènent à la lumière de la Pleine Lune. Pour accéder au grade de maître, le maçon doit gravir un escalier tournant en trois étapes :
- trois marches pour devenir apprenti (la première ligne d’une équipe de rugby),
- cinq marches pour devenir compagnon (le reste des avants),
- et sept marches pour devenir maître (les demis et les arrières).
Des érudits du collège de Rugby ont du estimer que le nombre XV était le nombre parfait pour constituer des relations actives, fécondes et constructives qui puissent s’articuler idéalement pour créer une équipe de joueurs de rugby complémentaires.
Une équipe de rugby, c’est selon Pierre Mac Orlan quinze joueurs qui représentent la proportion idéale entre les hommes : des lourds, des costauds, des grands, des petits, des rapides, des malins, des lumineux, des enchanteurs etc. « Si tu diffères de moi mon Frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». Antoine Saint Exupéry.