2023 2023WorldRugbyCup CMR CMR 2023 coupe du monde Débats et polémiques FFR france Rugby stades

Pourquoi organiser la Coupe du Monde de Rugby en France en 2023 ?

Par Frédéric Bonnet

Les études prospectives de l’impact économique de la Coupe du Monde (CMR) 2023 menées par les décideurs de cet évènement nous prédisent comme d’habitude des retombées financières mirifiques.

Pourtant, ces études ne sont en fait que le déguisement pseudo-scientifique de décisions politiques et économiques. Comment « vendre » un spectacle à une nation chargée de le financer par ses impôts. 

A n’en pas douter, les coûts seront publiques, mais les gains seront privés.

Pour autant, l’organisation de la CDM 2023 aura un autre type d’utilité : celle dite sociale. A la fois pour la société française en général en terme de cohésion sociale (quartier difficiles, mixité etc.), mais aussi pour le développement du jeu de Rugby des écoles primaires jusqu’aux équipes de France. Une occasion à saisir impérativement. 

L’économiste Victor Matheson a écrit que « les malheurs de la Grèce ont commencé avec les Jeux Olympiques de 2004 ». Les enseignements de l’ensemble des études sérieuses menées depuis 35 ans sur les retombées économiques des grandes manifestations sportives dans les pays organisateurs montrent :

  • Que les études prospectives réalisées par des cabinets d’études et financées par les promoteurs des manifestations, promettent des retombées économiques positives considérables,
  • Mais, que ces prévisions idylliques sont infirmées par les études rétrospectives universitaires indépendantes.

En résumé, ces méga évènements n’entrainent que des retombées économiques nulles (Coupe du Monde de Football aux USA en 1994, Coupe du Monde de Football en Allemagne en 2006), voire négatives (Jeux Olympiques de Sidney en 1999/2000). Seule l’étude menée par E. Barget et J.-J. Gouguet en 2010 sur les retombées économiques de la Coupe du Monde de Rugby 2007 en France, montre un impact économique total de 589,9 millions d’euros (soit 0,03 % du PIB).

Il faut dire que contrairement à l’organisation des Jeux Olympiques, la Coupe du Monde de Rugby 2007 n’avait pas nécessité la construction d’infrastructures géantes amenées à être désertées une fois la compétition terminée. Ce sera à nouveau le cas en 2023.

Toutefois, il faut préciser que ces études ne tiennent compte ni des effets d’image pour le sport pratiqué, ni d’un éventuel renforcement de la cohésion sociale du pays organisateur.

Impact économique et social de la Coupe du Monde de Rugby organisée en France en 2007

En 2010, E. Barget et J.-J. Gouguet ont cherché à évaluer l’impact économique et l’utilité sociale de cette manifestation pour les différentes régions françaises accueillant des matchs. 

Concernant l’impact global économique, ils ont ainsi séparé ces régions en trois classes :

  • Classe 1 au très fort impact : Ile de France (254 M d’euros-43 % du total) et PACA (145 M d’euros-24,6% du total).
  • Classe 2 à l’impact moyen : Rhône-Alpes (40 M d’euros-6,9 %), Aquitaine (39 M d’euros-6,6 %), Nord Pas de Calais (32 M d’euros-5,5 %) et Languedoc-Roussillon (31 M d’euros- 5,2%).
  • Classe 3 au faible impact : Pays de la Loire (27 M d’euros-4,6 %) et Midi Pyrénées (21 M d’euros-3,5 %).

Pour simplifier, il y a économiquement l’Ile de France et la région PACA d’un coté (67,6 % de l’impact économique) et toutes les autre régions de l’autre. L’impact global économique total est évalué à 589 M d’euros.

De manière générale, c’est l’injection de spectateurs-consommateurs extérieurs (injection touristique) qui est principalement responsable de cet impact économique. Ceci est du principalement à l’attractivité des affiches proposées dans chaque région. Plus les équipes sont prestigieuses, plus le match draine des spectateurs venant applaudir leur équipe nationale. Ces études tiennent compte à la fois des spectateurs présents dans les stades, mais aussi de ceux venus assister aux matchs sur écran géants, les spectateurs-écrans. Ce phénomène nouveau en France provient en fait des pays anglo-saxons et est amené à se développer considérablement.

Classement des régions en fonction de l’utilité sociale :

Cette notion repose sur la théorie du bien-être et sur le calcul coût/bénéfice. Le bénéfice est la somme de toutes les satisfactions ressenties par les individus, consommateurs de l’évènement ou non : distraction, animation, cohésion sociale, image du Rugby et du territoire, expansion du Rugby, accroissement de l’emploi local etc.

Le bilan national coût/bénéfice est évalué à 113,2 M d’euros et cette fois-ci, on peut classer les régions en deux catégories en fonction à la fois du ratio bénéfice/coûts et du rapport coût/bénéfice en M d’euros : 

  • Utilité sociale forte :
    • Rhône-Alpes (ratio de 3,18 – bilan coût/bénéfice de 21,3 M d’euros soit 18,83 % du total),
    • Midi Pyrénées (ratio de 2,97 – bilan coût/bénéfice de 15 M d’euros soit 13, 3 % du total national),
    • Ile de France (ratio de 2,38 – bilan coût/bénéfice de 44, 5 M d’euros soit 39,3 % du total national),
    • Pays de la Loire (ratio de 2,01 – bilan coût/bénéfice de 8 M d’euros soit 7,07 % du total national)
    • et PACA (ratio de 1,77 – bilan coût/bénéfice de 12,9 M d’euros soit 11,4 % du total national).
  • Utilité sociale moyenne ou faible :
    • Languedoc Roussillon (ratio de 1,47 – bilan coût/bénéfice de 4,9 M d’euros soit 4,3 % du total national),
    • Aquitaine (ratio de 1,46 – bilan coût/bénéfice de 4 M d’euros soit 3,6 % du total national)
    • et le Nord Pas de Calais (ratio de 1,41 – bilan coût/bénéfice de 2,3 M d’euros soit 2 % du total national).

L’impact social de l’organisation d’une Coupe du Monde Rugby ne devrait jamais s’effacer devant l’impact économique. Il joue un rôle essentiel de cohésion sociale dans nos communes et nos régions. Il est aussi le signe d’une bonne diffusion du Rugby et de ses valeurs dites sportives et éducatives.

Il est fort dans cinq régions sur huit et non négligeable dans les trois autres. La faiblesse de la culture rugbystique dans le Nord Pas de Calais explique certainement le faible impact social de la CMR 2007. En Aquitaine et dans le Languedoc Roussillon, deux régions où le jeu de Rugby tient une place centrale, ce sont à la fois les affiches sportives moins attractives, mais aussi certainement un déficit d’actions culturelles, qui expliquent les résultats décevants.

Perspectives pour la CMR 2023

Comme pour la CMR 2007, les douze villes désignées pour accueillir la CMR 2023 sont à nouveau réparties dans huit régions.

Ile de France  Saint Denis Paris  Stade de France 80 000 places Construction par le privé (Vinci et Bouygues-concession de 30 ans) pour 366 M d’euros (dont 193 d’apport de l’ Etat) 
  Paris

Parc des princes

48 00 places

Réfection pour 75 M d’euros déjà effectuée par le PSG et la Ville de Paris
PACA Marseille « Orange » Vélodrome 67 000 places Réfection pour 263 M d’euros (dont 28 d’apport de l’Etat) déjà effectuée selon le modèle PPP
  Nice Allianz Riviera 35 600 places Construction par le privé pour 244 M d’euros (dont 20 d’apport de l’ Etat) selon le modèle PPP
Rhône Alpes  Lyon  Parc OL 59 000 places Construction par le privé pour 405 M d’euros (dont 20 d’apport de l’ Etat)
  Saint Etienne  Stade Geoffroy Guichard 42 000 places Réfection pour 75 M d’euros (dont 8 de l’Etat) déjà effectuée selon le modèle MOP
Midi Pyrénées Toulouse Stadium 33 000 places Réfection pour 37 M d’euros (dont 6 de l’Etat) déjà effectuée selon le modèle MOP
Pays de la Loire Nantes Beaujoire 37 500 places rien depuis 2008
Languedoc Roussillon Montpellier  Mosson 32 00 places Rien depuis 2008
Aquitaine Bordeaux Matmut Atlantique 42 000 Construction par le privé pour 183 M d’euros (dont 28 d’apport de l’ Etat) selon le modèle PPP
Nord Pas de Calais Lille Pierre Mauroy 50 200 places Construction par le privé pour 324 M d’euros (dont 28 d’apport de l’ Etat) selon le modèle PPP
  Lens Bollaert Delelis 41 600 places Réfection pour 70 M d’euros (dont 612 de l’Etat) déjà effectuée selon le modèle BEA

PPP : Partenariat Public Privé.

MOP : Maitrise d’ouvrage Publique

BEA : Bail Emphytéotique Administratif

On peut se demander pourquoi la FFR a choisi deux stades dans le Nord. Cette région a eu à la fois un faible impact économique et social en 2007. Elle est certes proche géographiquement du Royaume uni, mais pourquoi ne pas utiliser le stade du Havre (25300 places) en s’appuyant sur l’histoire de notre jeu. Le HAC fut le premier club de Rugby a avoir été créé en France.  Un club qui a pris symboliquement les couleurs des équipes de Rugby d’Oxford et de Cambridge. 

Pour harmoniser les retombées économiques et sociales, le comité d’organisation de la CMR 2023 devra travailler sur deux axes :

  • celui des affiches des matchs en travaillant sur la répartition des nations les plus prestigieuses sur tout le territoire français et en évitant de privilégier les deux régions Ile de France et PACA.
  • celui du développement de la culture rugbystique dans le Nord particulièrement, mais aussi dans les sept autres régions. Chaque match devra être une fête collective qui prend d’autant plus de sens, qu’elle s’appuie à la fois sur les traditions du Rugby de chacune des nations de la CMR 2023, mais aussi sur celles des différentes régions françaises et du jeu de Rugby de l’Ovalie.  

Le spectacle sportif du rugby-marchand n’existe que pour promouvoir le modèle économique du libéral-productivisme et de la consommation à outrance. Pour le remplacer et transmettre d’autres valeurs utiles au vivre-ensemble, la FFR a plus besoin de politiques de sport de masse et d’éducation populaire. L’argent doit redevenir un moyen de développer le jeu de Rugby pour tous les français (e)s, quelque soit leur âge, et sur tout le territoire. Car, en libérant les corps, on élève les esprits, on éduque les citoyens, on favorise le lien social, bref on fabrique une société plus heureuse.

L’enjeu principal de cet CMR 2023 sera donc celui de la diffusion du Rugby en France.

Le rugby français a bien trente ans de retard sur celui joué en Nouvelle Zélande. Il n’est pas question de copier entièrement et littéralement le modèle Néo Zélandais, mais bien de s’en inspirer

Il y a certainement des leçons à retenir du modèle kiwi et des déclinaisons possibles à envisager. L’organisation de la CDM 2023 en France peut être un véritable catalyseur du renouveau du jeu de Rugby en France.

1 A commencer par le retour ou l’arrivée du jeu de Rugby dans les écoles primaires, via des formes simplifiées du jeu de Rugby. Une mesure d’urgence, mais qui ne portera ses fruits que dans une dizaine d’années.

2 Mettre en place rapidement la réforme pensée par la DTN et la FFR des conseillers techniques territoriaux, seuls à même de faire évoluer les pratiques dans les écoles de rugby françaises : plus de conseillers, mieux formés et mieux payés.

3 Il faudra enfin faire plier les clubs professionnels, le CAC 14 et la LNR, qui ne donnent pas assez de temps de jeu aux joueurs qu’ils forment, préférant la solution facile de recruter des joueurs expérimentés dans l’hémisphère sud.

4 Un projet global et d’envergure est nécessaire. Une vision du jeu de Rugby promoteur de cohésion sociale nationale en intégrant toujours plus la jeunesse défavorisée des banlieux et des zones périurbaines. En ce domaine les clubs de Massy, Sarcelles, Bobigny ou Gennevilliers sont précurseurs

5 Il est urgent de réinventer le french flair français. Il faut pour cela redonner du sens à ce qu’est le XV de France. Aux joueurs et aux entraineurs de se créer une Histoire commune en puisant sur celle de leurs prédécesseurs. La rue de la soif, les déjeuners gargantuesques d’avant match, le lecteur de cassette audio de Fouroux, la symbolique et les rituels entre frères de l’Ovalie. La construction commune et collective d’un leitmotiv, d’un mantra est INDISPENSABLE. Et pourquoi ne pas partir de ces deux phrases de notre emblématique Jean Pierre Rives.

Juste avant la victoire du XV de France contre les All Blacks en 1979, le capitaine avait dit à ses frères ovales : « Montrons aux Blacks que nous aussi savons être fiers. Jouons comme nous pouvons le faire ».

Le mantra du futur XV de France pourrait être fierté (la France peut être fière de l’histoire de son rugby), audace (celle de la jeunesse) et intelligence (celle qui amène à la clairvoyance et à l’inspiration).

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

I accept that my given data and my IP address is sent to a server in the USA only for the purpose of spam prevention through the Akismet program.More information on Akismet and GDPR.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.