blessures cac 14 dopage FFR gabarit joueurs LNR préparateur physique Rugby Santé des joueurs Top 14

Le talonneur est devenu le souffre douleur du Rugby spectacle

Par Frédéric Bonnet

Le modèle économique du rugby-spectacle n’a pour seul objectif que de contenter les sponsors, les actionnaires, les présidents de clubs et les médias qui s’enrichissent sur son dos. Un match est désormais un spectacle global au sein duquel les joueurs de Rugby et le jeu en tant que tel ont perdu leur place centrale.

Le Rugby et ses pratiquants pro ne sont que des prétextes pour divertir les foules et amuser la nomenclatura des loges. Les nouvelles règles du Rugby vont systématiquement dans le sens de la vitesse, de l’intensité et de la puissance. Et comme on ne peut pas avoir tout et son contraire, l’explosion du nombre des blessures des joueurs n’est que la conséquence logique de cette quête absolue de la performance. Ainsi, les talonneurs sont devenus de part la spécificité de leur poste les souffres douleur de la LNR.

Rien ne changera tant que l’industrie du spectacle gouvernée par World Rugby à l’international ou la LNR en France, et son championnat le TOP 14, dirigeront le rugby. La santé des joueurs de rugby doit être prise en charge par des organismes indépendants des clubs et de la LNR. La FFR doit reprendre les rênes du sport qu’elle est censée gouverner pleinement.

Il n’est pas question d’édulcorer l’esprit et la raison d’être du jeu de Rugby : un sport de combat collectif ET d’évitement. Sauf que quand le monde du rugby a plongé tête baissée dans la mêlée du professionnalisme, elle a transformé le combat régulé et légiféré à partir de phases de conquêtes collectives en jeu de casse brique frontal. 

Sur-entrainement et formes de dopage plus ou moins légales ont transformés nos joueurs en forces de la nature rapides, endurants et puissants, véritables armes de destruction de leurs propres corps.

La seule véritable solution serait d’en revenir à un semi amateurisme des années 1960-1996. Remettre un temps soit peu les joueurs dans la vie civile active. Le rugby français de cette période était un rugby majoritairement d’employés matinés de quelques enseignants, médecins ou ingénieurs. Leurs gabarits redeviendraient décents et surtout variés. Des piliers lourds et massifs jusqu’à des ailiers légers et fins en passant par de grands deuxièmes lignes. Moins d’argent, moins de tentation de dopage, fin du sur-entrainement, moins de transferts de joueurs tout azimut échangés et payés comme n’importe quelle marchandise.

Utopique ? Peut-être, sauf que le rugby est à lui seul une utopie magnifique et irréelle. Un monde à lui seul. 

En attendant d’en revenir au jeu codifié par Thomas Arnold dans son collège de Rugby parce que le Football pratiqué par ses élèves était trop violent, tiens, tiens, une mesure pourrait atténuer le nombre et la gravité des blessures des joueurs : interdire, sauf blessure, le remplacement des joueurs en cours de match. Rappelez vous : à l’époque où les joueurs sortaient sur la pelouse comme des lions en cage en début de match, l’affrontement était brutal, certes, mais Codorniou ou Bianchi avaient peu de chance de rencontrer sur leur chemin Dejean ou Diaz. Les avants restaient entre eux à partir de la 45 ième minute. Les trois quarts et la charnière pouvaient avoir un peu d’espace.

 

Depuis quelques années, les joueurs de Rugby subissent des cadences de travail insupportables à tout être humain. Ils se transforment en humanoïdes mi-robots, mi-humains gavés de musculation et de chimie. Ils tombent aussi rapidement dans l’oubli, qu’ils ont été artificiellement portés au pinacle médiatique le temps d’une action époustouflante ou parce qu’ils ont une belle gueule et de gros biscotots. Les entraineurs et les préparateurs physiques n’ont plus le temps ni de les préparer, ni de les faire récupérer, ni de les faire progresser. On recense d’ailleurs de plus en plus de blessures au moment des séances d’entrainement, sans parler des joueurs qui se blessent tout seul sans opposition.

Etre joueur de rugby professionnel sera à court terme un enjeu de santé publique, comme ce fut le cas aux USA avec les footballeurs américains à l’espérance de vie médiane d’une cinquantaine d’années. D’ailleurs, on peut supposer que d’ici peu chaque équipe de rugby puisse avoir la possibilité de remplacer ses joueurs de manière illimitée. Une cinquantaine de joueur par feuille de match par équipe, cela ressemble effectivement à la NFL.

On sait pourtant que les faits de jeu les plus accidentogènes sont les rucks et de manière générale la zone plaqueur-plaqué, loin devant les phases de conquête collectives (touches et mêlées). C’est d’ailleurs le joueur plaqué qui paye le plus lourd tribu. Des joueurs de plus en plus rapides, en sur-régime pendant 80 minutes et au gabarit de pilier qui se rentrent dedans en collision frontale, cela fait forcément des dégâts. Mais voilà, ces rucks, si dangereux et qui ont supplanté les mêlées fermées, sont privilégiés pour deux raisons :

  • accélérer le jeu et supprimer les temps morts, il faut maintenir le téléspectateur éveillé pour qu’il ne zappe pas.
  • simplifier le jeu et le rendre plus commercial.

Les blessures des joueurs de Rugby du CAC 14

  2013 2014 2015  
Saignement 88 95 118

x 1,34 en deux ans

Prépondérants dans le pack

Traumatisme du genou 55 94 112 x 2 en deux ans
Traumatisme musculaire  76 114 108 x 1,4 en deux ans
Traumatisme de l’épaule 58 94 100 x 1,7 en deux ans
Traumatisme de la face 61 75 85 x 1,4 en deux ans
Traumatisme de la cheville 42 76 79 x 1,4 en deux ans
Traumatisme cervical 47 85 74 en baisse depuis l’année dernière, mais toujours x 1,6 en deux ans
Commotions cérébrales 53 59 66 x 1,24 en deux ans
Traumatisme costal 47 54 53 stable depuis deux années
Traumatisme crânien dit simple 0 9 36 explosion en deux années
Traumatisme de la main 16 28 28  
Traumatisme du coude  12 25 20  
Traumatisme du bras 8 5 14  
Autres 40 128 88  

Le profil des blessures par poste de joueurs de Rugby

Les joueurs ne sont pas égaux devant le risque de blessure selon le poste qu’ils occupent dans leur équipe. Les talonneurs sont de loin les plus exposés, devant les deux piliers, le N0 8 et la charnière. Mais, tous ces joueurs n’ont pas le même profil de blessure.

Nombre de blessures depuis trois ans par postes

Talonneurs 235
Piliers gauches 181
N0 9 176
N0 10 174
N0 8 155
Piliers droits 155
N0 7 « gratteurs » 152
N0 6 « aériens » 143
N0 15 133
N0 4 127
N0 5 122
N0 11 120
N0 13 105
N0 12 104
N0 14 100

Les talonneurs sont les premiers à aller au charbon. Ils sont logiquement et malheureusement les champions des saignements (33), des traumas de la face (29), des épaules (22), des traumas cervicaux (29), du genou (28), musculaires (22) et bien entendu des commotions (20, bien qu’un peu moins que les demis d’ouverture).

Leurs compères piliers gauches saignent beaucoup (28), souffrent de traumas cervicaux (26), de l’épaule (28), musculaires (23) et du genou (22). Les piliers droits ont le même profil de blessures hormis les traumas cervicaux (13 seulement …), mais s’y rajoutent les traumas des chevilles (22).

La charnière souffre mais différemment : les demis de mêlées saignent beaucoup (25), et ont des traumas de la face (23), des épaules (21) et du genou (21). Les demis d’ouverture sont les cibles des troisièmes lignes adverses et ont de nombreuses commotions (24), des traumas de la face (23), cervicaux (26) et musculaires (24).

Les N0 8 souffrent de traumas de l’épaule (21) et musculaires (22).

Les deuxièmes lignes et les troisièmes lignes ailes souffrent tous de saignements (particulièrement les N07). 

Les ailiers (N0 14) et arrières (N015) sont plutôt atteints de traumas musculaires.  

Proportionnellement, les centres et le N0 11 sont relativement épargnés par les blessures.

Cudmore l’ancien deuxième ligne de l’ASM de 2005 à 2016 a bien raison d’assigner ce club en justice en raison d’une prise en charge médicale déficiente de ses commotions subies en 2015. Le non respect du protocole entraîne nausées, fatigue et irritabilité voire agressivité et depression dans les mois qui suivent. Sans parler des séquelles à moyen et long terme.

Car enfin, comment ne pas souligner l’augmentation catastrophique du nombre de ces commotions cérébrales en 4 ans. On en compte une centaine cette année (deux fois plus qu’en 2014) en Top 14 et plus de 1500 dans les championnats fédéraux. Une commission de suivi est mis en place par la FFR. Tant mieux. Mais à quand le retour de l’évitement, de l’intelligence et du combat collectif (mêlées, touches, mauls) ?

Surtout quelles seront les conséquences à moyen terme de ces commotions sur les joueurs de Rugby ? Une étude américaine de grande ampleur publiée en 2017 par le grand journal scientifique Journal of the American Medical Association (JAMA) confirme et alarme sur le lien entre la pratique de (à un niveau professionnel) du foot américain et l’apparition d’une dégénérescence cérébrale chronique.

L’autopsie de plus d’une centaine de cerveaux d’anciens joueurs professionnels de football américain a révélé que la quasi-totalité souffraient d’une dégénérescence cérébrale chronique (encéphalopathie traumatique chronique, ETC), liée à des chocs répétés sur la tête.

Les scientifiques ont analysé les tissus cérébraux de 202 anciens joueurs de foot américain ayant pratiqué à titre professionnel (aux États-Unis et au Canada), au lycée, à l’université ou en tant que semi-professionnels. Ils ont diagnostiqué l’ETC chez 177 d’entre eux soit 87% du groupe examiné. Leur âge médian était de 66 ans au moment de leur décès et ils avaient pratiqué ce sport pendant quinze ans en moyenne.

Parmi eux figuraient 111 anciens professionnels de la National Football League (NFL). Cette pathologie cérébrale a été repérée chez 110 d’entre eux. Chez les 84 anciens joueurs ayant une forme sévère d’ETC, 95% avaient des problèmes cognitifs et 85% des symptômes de démence.

A toujours vouloir aller plus vite, plus puissamment et plus longtemps, on finit par dénaturer notre jeu et à oublier que les joueurs sont de jeunes hommes de moins de 30 ans en général. Hormis le retour à l’amateurisme, les seules vraies solutions sont règlementaires et médicales :

  • diminution du nombre de rucks et législation plus sévère et stricte de ces mêlées ouvertes anarchiques,
  • interdiction des déblayages à pleine vitesse dans les rucks,
  • diminution du nombre de remplacements pour que l’usure physique naturelle des joueurs en cours de match retrouve son importance,
  • sortie définitive des joueurs en cas de suspicion de commotion (une deuxième commotion d’affilée peut être gravissime),
  • prise en charge de toutes les commotions par un médecin indépendant des clubs et visite médicale obligatoire dans la semaine qui suit.

4 Commentaires

  1. Effectivement ce sont des chiffres éloquents et cela amène à une réflexion que tu as fait en parlant du foot us et de ces remplacements illimités… mais je ne pense pas que les hautes instances du rugby y arriveront…. le rugby doit rester le rugby. Merci pour cet article une fois de plus bien écrit et surtout très objectif avec des chiffres et des vérités.

  2. Cette excellente analyse résume parfaitement la situation actuelle du rugby moderne , kine d’un modeste club de fédéral depuis 20 ans de banc de touche , je ne peux que constater ces dérives et ces blessures de plus en plus fréquentes.L’exemple du rugby pro relayé par les médias ne fait que renforcer le mimétisme pour les divisions inférieures , de graves accidents engendrants une atteinte irréversible à l’intégrité du joueur sont à craindre dans un avenir proche

  3. Cet article remet bien en valeur les dangers des excès du rugby professionnel. Je ne pense pas que le rugby pro revienne en arrière sauf si ses excès menaçaient son existence. Or l’argent qu’il génère est encore trop important pour y renoncer. Je crois qu’il va devoir séparer réellement le rugby amateur et le rugby pro. Comment je ne sais pas. Mais je considère que le rugby amateur a une fonction éducative fondamentale à la condition que ce rugby garde les valeurs que tu évoques. J’y ajouterai d’ailleurs celle de bio diversité qui permet à tous les gabarits de trouver leur place dans une organisation collective. Les petits les rapides les grands les gros les lents. Cela n’existe plus ou presque dans le Rugby pro qui est devenu un modèle tellement inateignable que je n’en oarle plus avec les jeunes de l´ecole de rugby.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

I accept that my given data and my IP address is sent to a server in the USA only for the purpose of spam prevention through the Akismet program.More information on Akismet and GDPR.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.