Débats et polémiques discrimination positive DNACG FFR Formation france Laporte LNR ovalie quota Rugby rugbyman rugbywoman Top 14

Contraindre les clubs du TOP 14 à embaucher les joueurs qu’ils forment

Par Frédéric Bonnet 

Remerciements à mes deux camarades rugbystiques pour leur éclairage juridique : Anne Sophie Cordier (juriste) et Géraud Chalvignac (co entraîneur d’une équipe féminine du havre et  directeur financier dans une collectivité territoriale)

14936926_10205469515816800_257959693_n

cropped-logo

Il n’est désormais plus un secret pour personne, que les rugbymen formés en France ont de moins en moins de place dans notre championnat : que ce soit en Top 14, mais aussi jusqu’en fédérale 1. Pour des raisons mercantiles et pour des critères d’efficacité à court terme, la grande majorité des clubs de rugby français préfère recruter massivement des joueurs formés à l’étranger. Le nouveau président de la FFR, Bernard Laporte, déclarait entendre s’attaquer à ce problème. Remettre les jeunes joueurs des centres de formations français au coeur du Rugby, voilà une discrimination positive. Quelles sont ses marges de manoeuvres ? 

Avant toute chose, il faut préciser que cet article n’est en rien un appel à la fermeture des frontières et au nationalisme. Le multiculturalisme est une chance. Mais la commercialisation et l’exploitation des hommes est une infamie.

Ce qui est indigne, c’est de sur payer et de parquer dans des résidences de luxe des joueurs et de les couper de la vie de la cité pour laquelle ils jouent. C’est aussi d’arracher de leur famille et de traiter indignement des jeunes pour leur faire miroiter une carrière professionnelle. Une forme d’esclavagisme moderne.

Le constat : les joueurs formés en France n’ont pas assez de temps de jeu dans le TOP 14. 

Préambule

Les présidents et leurs manageurs-entraîneur du rugby professionnel feraient bien de s’inspirer d’André Herrero et de Jean Claude Ballatore qui n’hésitèrent pas en 1992 à aligner en finale du championnat de France quatre juniors (Orsoni, Derougemont, Delaigue et Teisseire). Dans cette équipe victorieuse du Biarritz de Serge Blanco figuraient dix huit joueurs formés au Rct, à La Seyne, à La Valette ou à Aix : Dasalmartini, Périé, Braendlin, Motteroz, Loppy, Louvet, Jaubert, Repon et Jelh, titulaires, Carbonel, Gruarin, Chouquet, Cornuau et Casalini sur le banc.

 

 

 

en haut : Loppy, Orsoni, Melville, Motteroz, Périé, Braendlin, Louvet, Dassalmartini. En bas : Jaubert, Hueber, Trémouille, Repon, Teisseire, Delaigue et Jelh
RCT 1992

En haut : Loppy, Orsoni, Melville, Motteroz, Périé, Braendlin, Louvet, Dassalmartini.

En bas : Jaubert, Hueber, Trémouille, Repon, Teisseire, Delaigue, Jelh.

Hueber le bagnérais, Trémouille l’aurillacois et le regretté Melville le seigneur sud-africain sont tous devenus plus toulonnais que tous ces minots. Ils firent tous cadeau à leur capitaine de La Valette Éric Champ du bouclier de Brennus.

Déjà en 1987 lors de la conquête du bouclier de BRENNUS, les toulonnais ou autres joueurs formés dans le Var, Jelh, Jaubert (La Seyne), Carbonel, Gallion.J, Louvet, Champ (La Valette), Roux, Diaz, Braendlin, Herrero.D cotoyaient le nicois Orso, l’aixois Bianchi,  le cantalou Trémouille, le montalbanais Fourniols, le sud af Melville ou le lannemazo-nîmois Pujolle. 

R C Toulon 1987

En haut : Braendlin, Chapus, Alarcon, Orso, Roux, Champ, Melville, Pujolle, Louvet.

Au milieu : Casalini, Raibaut, Bianchi, Fourniols, Cauvy, Trémouille, Fargues, Jaubert.

En bas : Fournier, Carbonel, Capitani, Diaz, Herrero. D, président, Gallion.J, Herrero, Doucet, Jelh.

Le professionnalisme a dénaturé la « biodiversité » du rugby chère à Jeff Tordo, le tonituant international et joueur de Nice des années 80-90. Diversité des gabarits, des catégories socio-professionnelles ou des nationalités.

La juste proportion entre les hommes, c’était Jacques Fouroux qui commandait « du haut » de ses 162 cm un Michel Palmié qui le toisait de son mètre et 96 cm ;  c’était selon Antoine Blondin le demi de mêlée séminariste qui faisait la passe à son demi d’ouverture instituteur ; c’était enfin le mythique All Black Graham Mourie qui venait transmettre son idée du jeu de Rugby pendant une saison au PUC (Paris Université Club).

Désormais, les gabarits des joueurs se sont uniformisés, les joueurs ont abandonné leur double projet (rugby et formation extra sportive), ils ne jouent plus, le ballon ovale étant devenu leur outil de travail, et une dizaine de nationalités se cotoient sans souvent vraiment se rencontrer. La transmission de l’histoire d’un club, d’une commune ou d’une région ne passe plus, parfois, que par une toute petite minorité issue de l’école de rugby. 

Le nombre de joueurs non formés en France de la fédérale 1 au top 14 en 2015-2016

Étonnement, le nombre brut de joueurs recrutés à l’étranger était similaire entre les trois divisions : 229 en fédérale 1, 224 en pro d2 et 234 en top 14, soit un total de 687 rugbymen. Toutefois, la moyenne par club était largement supérieure en top 14 (17,8 joueurs) et en pro d2 (13,8 joueurs), par rapport à la fédérale 1 (5,4 joueurs).

Ces clubs ont choisi très majoritairement de recruter des piliers et des troisièmes lignes à l’étranger (3,6 et 3,5 joueurs par club en top 14), ainsi que des trois quarts centres et des deuxièmes lignes (2,8 et 2,7 par club en top 14). A l’opposé, il semble que les présidents se tournent vers la filière française pour trois postes : arrière, demi de mêlée et talonneur (0,5 et 0,7 par club). Une aubaine pour l’équipe de France de rugby.

En fédérale 1, concernant les huit clubs qui pouvaient postuler à une montée en pro d2 (Massy, Soyaux-Angoulème, Vannes, Nevers, Auch, Aubenas, Bourg en bresse et Romans), la moyenne de joueurs par club était de 7,8, environ deux fois moins qu’en pro d2 ou top 14. Toutefois, l’écart était sensible entre Nevers ou Massy (12 joueurs chacuns) et le « bon élève » Bourg en bresse (1 joueur).

Pour les autres, parmi les clubs toujours en course pour une qualification en phase finale de fédérale 1, Langon et Tyrosse (0 joueur) ou Oloron (1 joueur) étaient les derniers bastions de résistance. Les seuls à se tourner uniquement vers la formation française régionale. C’est aussi le cas de Lombez-Samatan, Anglet, Graulhet, Lavaur, Mauleon ou Agde, mais, à priori, ces clubs se battent plus pour ne pas descendre en fédérale 2.

En Pro D2, Bourgoin-Jallieu, par tradition ou par la force des choses, continuait à miser sur la formation, de même que Montauban. A l’opposé, le LOU (21 joueurs), écurie « près top 14 », et le PARC ( 22 joueurs) fraîchement promu, se  tournaient vers l’étranger, avec des fortunes diverses…

En Top 14, tous les clubs de top 14 pouvaient quasiment aligner une équipe entière de joueurs recrutés à l’étranger, sauf Toulouse (14 joueurs). L’ASM n’était pas très loin avec « seulement » 15 joueurs. Mais l’écart avec les « mauvais élèves » qu’étaient Agen et Montpellier (22 joueurs comme le PARC) ou Toulon et Grenoble (21 joueurs) était moins grand qu’en Pro D2 (16 en pro d2, 8 en top 14).

Qu’en est-il pour la saison en cours 2016-2017

Pour la première fois en vingt ans de professionnalisme, la balance entrée/sortie de joueurs formés à l’étranger est négative dans le Top 14 (- 3 joueurs) et en Pro D2 (- 19 joueurs). Malheureusement, la fédérale 1 compte 16 joueurs formés à l’étranger de plus cette année.

En Top 14, on compte 226 joueurs recrutés à l’étranger dont une majorité de sud-africain (56) ; de néo-zélandais (52) ; d’australiens (31) et de fidjiens (27).

Quand on pense que notre championnat en comptait 13 en 1996/97, 63 en 2001/2002 , 71 en 2005/2006, puis 140 en 2009/2010, on mesure l’étendue des problèmes que rencontrent les joueurs formés en France pour trouver une place en Top 14, en Pro D2 (205 joueurs recrutés à l’étranger) ou même en fédérale 1 (250 joueurs recrutés à l’étranger).

Focus sur la journée du week end du 3-4 décembre 2016

En Top 14, sur les 322 postes possibles, 144 (44,7%) étaient tenus par des joueurs formés à l’étranger. Une proportion proche de celle du temps de jeu en Top 14 des joueurs recrutés à l’étranger en 2015-2016 : 48,5 %.

Tous les clubs n’adoptent pas à ce sujet la même politique.

Toulouse 34 %, ASM 38 %,  S Français 39 %, Castres 41 %, Racing 41 %, UBB 45 %, Brive 46 %, Oyonnax 47 %, La Rochelle 51 %, Grenoble 53 %, Agen 58 %, Pau 58 %, RCT 60 %, MHR 68 %.

En Pro D2 et dans la poule élite de la fédérale 1, la proportion de joueurs recrutés à l’étranger reste forte.

31, 2 % en Pro D2 (115 joueurs sur 368) et 28,8 % en Fédérale 1 (poule élite-53 joueurs sur 184). 

Les raisons du recrutement intensif de joueurs à l’étranger

La mondialisation du sport n’est pas un phénomène récent.

Sans remonter aux Jeux panhelléniques, rappelons que les Jeux olympiques modernes datent de 1896. La mondialisation du sport, par le nombre croissant de spectateurs et les masses financières en jeu, nous éloigne toutefois de l’idéal olympique au profit d’intérêts politiques, et parfois criminels.

Au risque de s’éloigner de l’idéal olympique, le sport mondialisé a un poids économique de plus en plus important. Le marché mondial de tous les biens et services sportifs se chiffre à environ 600 milliards d’euros, dont 250 milliards pour le football, 150 milliards pour les articles de sport et 60 milliards pour les droits de retransmission télévisée d’événements sportifs. En France, le poids de l’économie du sport en 2005 est évalué à 30,4 milliards d’euros, soit 1,77 % du PIB, et dans la plupart des pays développés il s’établit entre 1,5 % et 2 % du PIB. 

La mondialisation économique du sport passe d’abord par le développement de la diffusion télévisuelle.

Le nombre des spectacles sportifs mondiaux est passé de 20 en 1912 à 315 en 1977 et 1 000 en 2005 : de quoi attirer la convoitise des médias. Concernant le rugby français, le coupable est bien connu Canal plus. 

Cette médiatisation excessive a entrainé deux dérives.

Une dérive sociétale du rugby : peu à peu les fameuses valeurs du monde du ballon ovale disparaissent. Les premières affaires de dopage sont vite étouffées, mais tout porte à croire que ce fléau se généralise dans une désorganisation toute française, l’irrespect vis à vis du corps arbitral se banalise. Il y a vingt ans encore, le rugby reposait davantage sur l’affect et l’ancrage local des dirigeants que sur le nombre de diffusions télévisées de son équipe. 

Une dérive dans sa dimension sportive : il existe désormais deux planètes rugby : l’une starisée, celle du Top 14 où l’argent est de plus en plus roi et la législation nationale fiscale souvent complaisante, l’autre est celle du terrain, de la formation, celle qui fait éclore les jeunes talents dans les petits clubs ou les villages avant que le destin doré du monde professionnel ne viennent frapper à leur porte.

De plus, le fossé entre professionnels et amateurs s’est profondément agrandi entre les quelques privilégiés et les autres, que ce soit au niveau des joueurs, des spectateurs (en loge ou en virage), des clubs pro liés à la LNR ou des clubs amateurs liés à la FFR.

Evidemment, l’arrêt Bosman n’est pas seul responsable de la situation générale du rugby. Cependant, en brisant trop tôt certains équilibres, il a certainement accéléré la dégringolade.

Le rugby français suit la fulgurante descente aux enfers du football anglais. Comme en Top 14, les succès des clubs de foot anglais sont cruellement contrebalancés par les affres de leur sélection nationale. 

La mondialisation s’est accélérée depuis vingt ans et s’est accompagnée d’une expansion rapide des activités marchandes liées au sport, au point d’impliquer des masses financières suscitant l’apparition de corruption et de fraude internationale.

La liberté de circulation des joueurs suscite dans le milieu sportif international une polémique qui fait écho aux controverses plus générales sur la mondialisation des échanges 

Plusieurs fédérations sportives internationales (football et volley-ball) viennent en effet de limiter la présence des joueurs étrangers dans les clubs, au mépris des règles de l’Union européenne.

Ces fédérations internationales, soucieuses de leur souveraineté au point d’édicter leur propre législation, n’en sont pas moins tenues de respecter celle des États où elles exercent leurs activités. Elles sont ainsi soumises au droit de l’Union européenne et notamment à la règle de libre circulation des travailleurs communautaires. 

Extension du critère de nationalité aux pays de l’EEE : Arrêt Bosman (CJCE, 15 décembre 1995).

Pour comprendre la raison de la présence d’étrangers dans les clubs nationaux, il faut revenir à l’arrêt Bosman rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 15 décembre 1995, et confirmé en 2002 par l’arrêt Malaja.

Cet arrêt fédérateur en la matière concernait le belge Jean-Marc Bosman, à propos de la fin de son contrat avec le RFC Liège, le club exigeant une indemnité de transfert au club de Dunkerque accueillant M. Bosman. La Cour européenne de justice (CEJ), le 15 décembre 1995, pose le principe de l’application aux sportifs du droit de libre circulation de tout travailleur.

En dehors de ce principe fondamental, à l’occasion de cette affaire, la CEJ a également annoncé que le nombre de ressortissants de l’Union Européenne au sein d’une équipe n’est pas limitatif, et a supprimé par voie de conséquence les indemnités de transfert en fin de contrat (à la différence des indemnités de transfert en cours de contrat).

Le champ d’application de l’arrêt Bosman concerne l’ensemble des membres de l’Espace Economique Européen, soit les membres de l’époque de l’UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède) ainsi que la Norvège et l’Islande.

Depuis cet arrêt, il n’est plus possible d’imposer des quotas permettant de limiter le nombre de joueurs étrangers de nationalité européenne au sein de club sportif professionnel sous peine d’être sanctionné pour discrimination à la libre circulation des travailleurs.

L’accord de Cotonou

Il est à noter que cette décision s’applique également pour des Etats non-communautaire ayant signé des accords de coopération avec l’Union européenne concernant le droit du travail notamment. Tel est le cas de l’accord de Cotonou du 23 juin 2000, signé entre les membres du groupes des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du pacifique d’une part et de la Communauté européenne d’autre part, permettant d’expliquer la possibilité des clubs européen de recruter des sportifs d’origine africaine sans devoir respecter des quotas.

Si cette décision est une avancée incontestable dans les droits des sportifs professionnels, elle permet également de rappeler que ces derniers ne sont pas des marchandises et qu’ils se doivent de conserver leurs libertés fondamentales même dans l’exercice de leur profession, ce qu’une majorité de personne semble alors oublier.

Extension aux ressortissants d’un pays signataire d’un accord de coopération (Arrêts Malaja, Conseil d’Etat, 30 décembre 2002) et signataire des accords de Cotonou (Arrêt Kolpak, CEJ, 8 mai 2003).

Moins médiatisée, une autre affaire jugée par le Conseil d’Etat en France, a considérablement étendu le champ d’application de l’arrêt Bosman. La basketteuse polonaise Lilia Malaja s’était vue refuser par la Fédération française de basket (FFB) sa licence après avoir signé avec le club de Strasbourg.

Les motifs invoqués par la FFB tenaient au nombre de joueuses extra-communautaires déjà intégrées dans ce club. La Cour Administrative de Nancy, puis le Conseil d’Etat, par un arrêt confirmatif du 30 décembre 2002, ont annulé la décision de la FFB en raison de l’accord de coopération signé en 1991 entre l’Union Européenne et la Pologne. Le champ d’application de l’arrêt Bosman devient donc considérable puisqu’il s’applique dorénavant à 22 nouveaux pays (dont les pays de l’ex-URSS, des Balkans, la Turquie et les pays du Maghreb).

Cette décision a connu récemment une importante extension par la confirmation de ses principes, par un arrêt du 8 mai 2003 de la CEJ. Il s’agissait en l’espèce du cas du handballeur slovaque Maros Kolpak, recruté par le club d’Östringen (Allemagne) et qui se voyait opposé à nouveau, comme dans l’affaire Malaja, les quotas de nationalité.

La CEJ a alors confirmé, dans les mêmes termes que le Conseil d’Etat français, la non application des quotas de nationalité aux ressortissants des pays signataires d’accords de coopération avec l’Union Européenne, en étendant ce principe aux ressortissants des 77 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique signataires avec l’UE des accords de Cotonou du 23 juin 2000.

Le football fait figure de cobaye

Au niveau sportif, les compositions d’équipes de football sont rapidement devenues absurdes : l’équipe belge de Beveren titularisant 11 Ivoiriens, le Real Madrid alignait plus de joueurs britanniques que les Londoniens d’Arsenal (qui n’en avaient aucun à la même période). Finalement, devant une FIFA et une UEFA très fortunées mais quasiment impuissantes, les riches (clubs et joueurs) sont rapidement devenus plus riches, et les pauvres plus pauvres. 

Mais, la dérive est aussi humaine : l’Europe est devenue le triangle des Bermudes où viennent s’échouer avec un bonheur variable les jeunes espoirs d’Amérique Latine, d’Europe de l’Est et d’Afrique. 

La dérive est aussi économique : si la dérégulation contenue dans l’arrêt Bosman était censée accroître la concurrence et donc faire baisser les coûts du travail, pourquoi l’ensemble des salaires augmente-t-il si vertigineusement, mettant ainsi en péril l’existence des clubs qui les emploient ? 

Vingt ans après son grand frère, le rugby connait les mêmes dérives. Certains clubs du Top 14 sont de vraies franchises de pays de l’hémisphère Sud, il se développe en Ovalie un esclavagisme moderne, le Top 14 attire de jeunes fidjiens ou géorgiens arrachés à leur famille de plus en plus tôt, les salaires de certains rugbymen enflent démesurément tandis que certains clubs amateurs crient famine. 

Ce sentiment que « la balle ovale tourne de moins en moins rond » est renforcé par les déficits chroniques de la plupart des clubs du Top 14, la dimension aléatoire des résultats financiers (qui dépendent des résultats sportifs, des retransmissions télévisées, de la billetterie du stade et de la vente de produits dérivés) ou la course à l’armement absurde de certains clubs de fédérale.

Qui investirait dans une entreprise susceptible de perdre 20 % de ses revenus sur une simple décision arbitrale un soir de mai ; ou parce que l’un de ses joueur de premier plan subit une commotion cérébrale ?

Ce qu’il est possible de faire pour augmenter le temps de jeu des joueurs formés en France

Le rugby français devrait s’inspirer de l’expérience de son grand frère du football anglais. Celui-ci a déjà essuyé les plâtres des règlements européens.

Ainsi, des jurisprudences récentes permettent d’entrapercevoir les contours d’une spécificité sportive qui pourrait extraire certaines parties du droit du sport du droit commun.

Toutefois, il faudrait un accord des chefs d’État et de gouvernement de l’ensemble des États membres de l’Union européenne pour décider de la réintroduction des quotas de joueurs étrangers.

Si le Conseil européen voulait inscrire cette question à son ordre du jour, il se heurterait sans doute à un problème d’unanimité ou de majorité qualifiée, car le principe de libre circulation des travailleurs communautaires est aujourd’hui sacro-saint.

Il faut donc imaginer d’autres formes de quotas.

En effet, on ne peut y déroger classiquement que pour des motifs d’intérêt public (sécurité, santé publique, intérêt publique de la formation locale). 

On peut ainsi imaginer ne reconnaître le statut de joueur « Cotonou » qu’à ceux qui comptent un nombre de sélections relativement élevé (une vingtaine par exemple), ou miser sur le fait que la CJCE a déjà considéré que le système « 6+5 » du football (six joueurs au moins formés dans le pays du championnat et cinq étrangers) est une entrave acceptable à la libre circulation des travailleurs. 

Plus utopique, on peut imaginer une taxe appliquée au rugby. Celle ci porterait sur les transfert internationaux et servirait à couvrir les coûts d’éducation et de formation des joueurs et à restreindre les transferts.

À l’instar de la FIFA, les dirigeants de la Fédération internationale de volley ont décidé de limiter progressivement le nombre d’étrangers, malgré la fronde de joueurs arborant en France et en Italie des tee-shirts « Let us play » (« Laissez-nous jouer »).

Dans le championnat de France de Football, la Ligue de Football Professionnel (LFP), a imposé un quota de 4 joueurs extra-communautaires par équipe, comme par exemple les joueurs d’Amérique du Sud qui représentent une part très importante dans le football français. Cependant cette règle est facilement détournée par les clubs qui s’appuient sur l’existence de double nationalité chez certains joueurs.

L’UEFA et la FIFA se sont, elles aussi, mises en action afin d’endiguer ce phénomène. Par exemple, l’UEFA a imposé dans le cadre des compétitions européennes, que sur la liste des 25 joueurs retenus pour jouer la compétition, huit soient issus du centre de formation du club.

De plus, l’institution cherche à « créer une exception sportive à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne » et ainsi revenir sur l’arrêt Bosman.

Le concept de joueurs formés localement a acquis une base juridique incontestable avec un arrêt du Conseil d’Etat du 8 Mars 2012 rendu au sujet du volley-ball féminin et aussi avec son entrée dans le Code du Sport en France.

Il n’est pas inutile de relire aussi la déclaration des Ministres des sports de l’Union européenne lors du sommet de Biarritz des 27 et 28 Novembre 2008, à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne qui contient une reconnaissance de l’action des structures de formation:

« Les ministres considèrent que la participation d’un nombre minimum de joueurs issus des structures de formation agréées par les fédérations ou les autorités nationales dans les équipes de clubs engagées dans les compétitions européennes est une des approches qui pourraient renforcer la formation des jeunes joueurs dans les clubs » (point 10),

« Les ministres marquent leur intérêt pour, et souhaitent que les discussions se poursuivent sur, les initiatives des fédérations internationales visant à développer dans les équipes de clubs professionnels de chaque pays la présence de sportifs sélectionnables dans les équipes nationales, dans le respect du droit communautaire, afin de renforcer l’ancrage régional et national des clubs professionnels » (point 11).

« Les fédérations délégataires édictent des règlements relatifs aux conditions juridiques, administratives et financières auxquelles doivent répondre les associations et sociétés sportives pour être admises à participer aux compétitions qu’elles organisent. Ils peuvent contenir des dispositions relatives au nombre minimal de sportifs formés localement dans les équipes participant à ces compétitions et au montant maximal, relatif ou absolu, de la somme des rémunérations versées aux sportifs par chaque société ou association sportive », édicte l’ article L 131 – 16 du Code du Sport.

Dans un rapport « Mission d’évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et des solidarités avec le sport amateur » établi par Rémi Duchêne, Pierre Lepetit et Bertrand Jarige, de Juillet 2013, est formulée la proposition de rendre obligatoire la mise en oeuvre d’un dispositif de « joueurs formés localement » dans les compétitions professionnelles (modification de l’article L. 131-16 du code du sport) et d’inviter les fédérations et les ligues professionnelles à prévoir l’application d’un dispositif concernant les joueurs utilisés durant les matchs et non l’effectif global des clubs.

Par expérience, la violation des accords internationaux est rarement sanctionnée, soit par manque de volonté, soit par manque de moyen. Une fenêtre s’ouvre donc. Reste la volonté de l’ouvrir.

 

6 Commentaires

  1. il est devenu urgent d’appliquer une réforme pour remédier aux maux profonds auxquels le rugby est confronté actuellement . Il s’agit de pouvoir donner honnêtement la chance à tous jeunes joueurs formés dans un club affilié à la FFR d’accéder à la pratique de jeu d’un niveau supérieur si il a les moyens physiques et mentaux requis . Le droit à la formation de haut niveau doit pouvoir s’appliquer pour tous et de surcroît , de pouvoir évoluer à plus haut niveau . Le travail de formation dispensé par les éducateurs /entraîneurs de jeunes joueurs des clubs doit être relayer par les clubs demandeurs de niveau supérieur , qui doivent à leur tour donner les moyens de poursuivre la formation de qualité du joueur , tout en restant en contact avec le club quitté par le jeune joueur afin d’informer sur l’évolution positive ou négative et d’un éventuel retour au club d’origine si il le fallait .
    Une relation à la fois amicale , studieuse , intelligente est nécessaire entre tous les clubs territoriaux , fédéraux et PRO . Il en va de la qualité de la formation et de l’avenir sportif de nos jeunes joueurs .

  2. La FFFA a limité le nombre de joueurs d’un championnat majeur à 3 par équipe et à 2 sur la feuille de match. Il est même question de les interdire à certains postes clés. Des mesures qui devraient nous inspirer.

  3. Le jeu des états est et reste le fait de détourner les règles, lois et textes qu’ils soient nationaux ou Européens.
    De plus avec une Armada d’avocats il est toujours possible de jouer une jurisprudence. Pour enseigner le droit (tt petit.. Législation sociale, C du W, Convention CNT, Droit des usagers …secteur S.S.M.S.) J’ai un vieux souvenir sur la décision de la CJCE que nous avions, après avoir épuisé l’arsenal Français, sollicité sur le travail de nuit et les heures d’équivalence; celle-ci nous avait donné raison et débouté l’Etat Français (et les employeurs concernés…) Las …cela à durée 3 ans puis retour à la case départ, Néo-libéralisme quand tu nous tiens …
    Des clubs en déficit il y en a au delà du Top 14, jusqu’en honneur !!! et ce n’est pas toujours l’histoire des joueurs étrangers, juste :  » La folie des grandeurs » en début d’année un joueur de Pro D2 puis F1 nous a proposé ses services (nous en Fed2,) pour un total salaires et avantages de 5000 balles le président a souri … mais il joue ds cette division donc …
    Après Fred tu me parais un peu  » Naïf  » pensant Laporte jouant le rôle de « bon » (samaritain ?) et de placer en face les voyous. C’est un magouilleur, un maquignon comme au plus beau temps des marchés de province.( C.F. Toulon !)
    Question : Pourquoi les joueurs étrangers seraient meilleurs que les joueurs Français ?
    Que faisons nous de la qualité de notre formation ? Quels moyens à t’elle ?
    Comme dans notre « Nationale Education » ce ne sont pas les élèves qui sont mauvais, mais parfois les entraîneurs (enseignants)(je parle à un connaisseur ! lol!) éducateurs et plus surement les volontés politiques des gouvernants, les  » ronds de cuir » obéissants et pour finir les décisions imbéciles de mettre l’argent dans le productif immédiat (le rugby n’échappe pas à la folie de l’immédiateté !) et absolument pas dans l’avenir. Attaquons nous à cela, battons nous pour de vraies formations avec des formateurs dûment diplômés, dans des centres de formation intégrant la scolarité des gamins !

    Question (2) : Notre EDF a retrouvé un jeu plaisant et -payant- (pour le dire façon société …) pertinent et ce avec la patte de G. Novès ! que fera le monde bien pensant du Rugby si Laporte le vire ???

    Rugbystiquement Votre

    JyB

  4. Nous pourrions même, en complément de votre réflexion, évoquer les cursus de formations scolaires obligatoires pour les joueurs espoirs (Pro D2 et Top 14). En effet, à l’instar des jeunes espoirs français, les espoirs étrangers sont inscrits dans des cursus de formation tantôt bidons, tantôt plus sérieux mais auxquels ils n’assistent jamais. Et pour cause : d’une part ils ne sont pas venus en France pour passer un diplôme scolaire mais pour jouer au rugby et, d’autre part, les cours dispensés en français sont, par essence, difficiles à suivre lorsqu’ils ne sont pas francophones ! Et que dire de ceux qui ont déjà obtenu un diplôme dans leur pays d’origine et qui, on les comprend, ne voient pas d’intérêt à en obtenir un autre en France ! Néanmoins, la LNR continue à rendre obligatoire ces cursus sous peine de sanctions. Il y aurait là aussi, à mon sens, une réforme intelligente à initier.

  5. Je pense qu’un facteur clé est une confusion initiale faite à l’époque de la professionnalisation du rugby, confusion entre :
    * professionnalisation (des joueurs)
    * privatisation (des clubs)
    Les clubs sont devenus, dans ces 2 pays et sur le modèle du football, des institutions de droit privé et surtout *d’intérêt* privé, c’est-à-dire des sociétés libérales (capitalistes privées). Comme dans tous les autres domaines où s’applique le libéralisme, ces intérêts privés vont systématiquement *contre* le bien de toutes les autres parties prenantes : pour le rugby pro, il s’agit des joueurs, des uspporters et du public en général, des compétitions, des jeunes, des formateurs ou éducateurs ; des clubs eux-mêmes dans leur réalité historique et populaire ; et aussi du sport et du jeu de rugby lui-même.

    Il n’était pas nécessaire et encore moins naturel, pour professionnaliser la haute compétition, des faire des clubs des compagnies privées. Et surtout pas de créer la LNR (la ligue de toutes les horreurs). Quelques propositions :
    * Supprimer la ligue.
    * (Re)faire des clubs des assos (ni privées ni publiques).
    * Mais cette fois avec une direction qui soit une démocratie *réelle*, non hiérarchique, un « conseil » unissant des représentants de toutes les parties prenantes, à commencer par la base réelle d’un club pro : son public, ses supporters !
    * De même, démocratiser la fédération à tous les niveaux (du local au national) et dans tous ses domaines (organisation, formation, compétition, popularisation…).
    * Partager les ressources, à commencer par l’argent, d’une façon juste ou plutôt « fair » : en utilisant les moyens et revenus communs pour compenser les déséquilibres structurels (tels qu’entre petites & grosses agglos : Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Montpellier).

    [Il n’est pas utile en France ou en Angleterre de faire un système de provinces. Encore moins de créer une compétition fermée de franchises (sport US, super rugby) : invoquer le stress dû au risque de descente en top 14 comme cause de la nullité de l’EdF, c’est encore de la propagande néolibérale pour sécuriser et accroître les profits privés, alors que les clubs concernés sont minoritaires et ont peu ou pas d’internationaux français.]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

I accept that my given data and my IP address is sent to a server in the USA only for the purpose of spam prevention through the Akismet program.More information on Akismet and GDPR.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.