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Le jeu de Rugby peut-il vraiment être professionnel ?

Par Frédéric Bonnet

 

Pour comprendre la lutte qui oppose les tenants du rugby amateur aux supporters modernes des clubs du TOP 14, lutte dont la partie la plus visible s’incarne dans le combat entre la Fédération française de rugby (FFR) et la Ligue nationale de rugby (LNR), il faut se plonger plus de 200 ans en arrière sur l’origine du sport moderne. Ce dernier nous vient d’Angleterre et nait au XVIIIè siècle. Il a d’emblée été pensé pour être professionnel (grâce à l’invention des bookmakers qui gèrent les paris) et institutionnalisé (par la création de clubs et de fédérations).

Ce n’est qu’en réaction et en opposition à cette forme de sport, qui obéissait surtout à la logique du gain, que le jeu de Rugby et son éthique de l’amateur n’a été inventé au XIXè siècle dans les publics schools (collèges et lycées privés d’Angleterre).

Tout au long de l’histoire du jeu de Rugby, le sport professionnel n’a cessé de lui faire les yeux doux et a fini par gagner la bataille. En 1996, la Rugby football union accepta de renoncer à son amateurisme fondateur.

Ainsi, l’opposition actuelle entre le rugby professionnel et le jeu de Rugby, via son porte drapeau le Quinze de France, n’est que l’écho contemporain de cette lutte des origines.

Au regard de son histoire, le jeu de Rugby peut-il vraiment être à la fois professionnel tout en gardant son sens originel, c’est à dire sa raison d’exister parmi tant d’autres sports ?

Peut-on défendre et cautionner le TOP 14 et dans le même temps dénoncer sa violence, la piètre qualité de son jeu, espérer revoir un XV de France de haut niveau, vouloir plus de temps de jeu pour les joueurs qui sortent de notre formation, s’affliger de l’uniformisation des gabarits des joueurs, se désespérer de la violence et de la dangerosité du rugby ou craindre les dérives du dopage ?

Comme l’écrivait Jacques-Bénigne Bossuet : Nous nous affligeons des effets, mais continuons à adorer les causes !

 

Chut, le spectacle sportif doit continuer. Payons très chers nos joueurs de rugby pour acheter leur silence. Surtout que l’on puisse continuer à les doper, à les sur-entrainer, à les blesser, à les user physiquement et mentalement, puis à les licencier brutalement quand leur date limite de fonctionnement est atteinte.

Sans formation autre que rugbystique, ils auront intérêt à avoir tissé un bon réseau pendant leur carrière sportive pour rebondir. Mais dans quel état de santé ?

Le professionnalisme dans le rugby n’est pas inéluctable, il n’est pas la seule voie possible. Une troisième est envisageable, entre amateurisme pur (l’idéal) et le professionnalisme. Il existe déjà dans les championnats fédéraux ? Pas vraiment, tant les affres du monde professionnel ruissellent jusqu’au monde amateur, qui se trouve obligé de singer le TOP 14 sans en avoir les moyens structurels et financiers. Le modèle est donc à revoir. Mais ce n’est ni compliqué, ni impossible : simplement une question de volonté. 

Pour une définition de la notion de sport 

De nombreux sujets (drogue, dopage etc) sont sujets à des polémiques incessantes uniquement parce que les différents interlocuteurs ne parlent pas de la même chose. De fait, le terme « sport » signifie tant de concepts différents que pour ses enquêtes l’Institut national des sports et de l’éducation physique (INSEP) a posé comme principe qu’il n’est que ce que font les personnes qui se disent faire du sport !

Le Rugby est l’exemple archétypal de ces querelles stériles qui voient s’affronter les thuriféraires du TOP 14 à ceux qui le rendent responsable de la dégringolade apparemment inexorable du niveau de jeu du XV de France : c’est tout simplement que l’on ne parle pas du même sport, il est vrai pourtant souvent pratiqué par les mêmes athlètes… En d’autres termes on ne peut pas avoir un Rugby professionnel riche qui attire les stars de la planète entière ET une équipe de France de Rugby dominatrice. Et vice versa.

La plupart des historiens s’accordent pour dire que le sport moderne est né au XVIIIè siècle en Angleterre, dans un contexte de révolution industrielle et de capitalisme émergeant. Il se diffuse aux autres pays au XIXè siècle dans ses colonies britanniques et dans les autres sociétés industrialisées (Europe continentale et Amérique du Nord).

Toutefois, les premiers historiens du sport, dont faisait parti Pierre de Coubertin inventeur entre autre du bouclier sculpté par M Brennus, plaident pour une continuité historique entre les jeux de l’antiquité (phéninde grecque et harpastum romain, mais aussi boxe ou lutte) et par exemple la barrette ou la soule jouées au Moyen Age et au XVIIIè siècle. De fait, c’est le succès des jeux olympiques modernes de 1896 qui a réussi à imposer cette filiation historique.

Grosso modo les premiers jeux à forte connotation religieuses et au registre rattaché aux rituels d’initiation se sont peu à peu désacralisés et institutionnalisés pour prendre des fonctions ludiques, éducatives, hygiéniques ou militaires selon les époques et les besoins de la population.

Sémantiquement, le mot sport vient du terme utilisé au Moyen Age « desport » ou « disport » pour désigner toute forme de distraction, d’exercices, de simples plaisirs ou d’amusement qui absorbent des hommes riches et oisifs.

Pour tenter d’être plus précis, on peut distinguer deux niveaux de définition :

  • au sens restreint, le sport désigne l’ensemble des pratiques physiques, codifiées, institutionnalisées (clubs, fédérations), réalisées en vue d’une performance ou d’une compétition organisées pour garantir l‘égalité des conditions de réalisation.
  • au sens étendu, il regroupe tout type d’activité physique réalisée dans un but récréatif, hygiénique, éducatif ou compétitif, ceci dans un cadre réglementaire minimal.

Les deux processus de genèse du sport moderne 

La querelle qui oppose les défenseurs du jeu de Rugby amateur à ceux qui lui préfèrent sa professionnalisation depuis 1996, prend racine au XVIIIè siècle. Car le sport moderne qui prend naissance en Angleterre à cette époque a suivi deux processus distincts et même a bien des égards opposés : celui pour commencer de la culture corporelle des grands propriétaires terriens, l’autre plus tardif issu de la codification de jeux étudiants des publics schools. 

 1 Les passes temps de la gentry agrarienne dits gentlemen-farmer

Au XVIIIè siècle, les gentlemen-farmers sont devenus les gestionnaires d’activités ludiques comprenant la chasse au renard, le turf, la boxe, le golf, le cricket ou les combats d’animaux. Concernant cette dernière activité, la gentry possédait une véritable organisation multidisciplinaire intégrant entraineurs, écuries, lignées d’animaux et rencontres. Ces riches propriétaires participaient à ces activités le plus souvent par procuration : ils opposaient leurs meilleurs laquais sur des épreuves de course (les plus rapides) ou des matchs de boxe (les plus forts). Leurs objectifs étaient nombreux :

  • gagner une victoire symbolique sur un propriétaire adversaire,
  • contrôler sa population rurale,
  • alimenter des flux d’argent importants par le biais des paris des bookmakers, ceci à tous les échelons de la société,
  • créer un marché lucratif d’employés-coureurs-boxeurs etc. 

Pour réglementer ces rencontres, il fallut rapidement institutionnaliser ce sport moderne, créer des championnats et des clubs chargés entre autre d’entrainer les « joueurs ». 

Les dirigeants de la LNR sont les héritiers directs des gentlemen-farmers anglais. 

2 La création du jeu de Rugby dans les publics schools anglaises

En réaction et en opposition à cette forme de sport, Thomas Arnold, professeur, franc-maçon reconnu et directeur du collège de la ville de Rugby, décida en 1828 de codifier les parties de football anarchiques et violentes auxquelles s’adonnaient librement et sans contrôle ses étudiants. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls en Angleterre. De Winchester à Westminster, de Eton à Chaterhouse, cette forme de soule était laissée à l’initiative des étudiants aristocratiques de la haute société (les Philistines) ou issus de la bourgeoisie urbaine ou de la gentry rurale (les Barbarians, tiens donc).

Le génie du professeur-directeur fut d’associer ses élèves à la rédaction des premières règles du jeu de Rugby, se servant de ce jeu comme prétexte pédagogique éducatif, au même titre que l’on peut le faire en mathématiques, en sciences ou en littérature.

Intrinsèquement et ontologiquement l’invention du jeu de Rugby n’est constituée que pour régler des problèmes d’indiscipline, de violence, bref d’éducation. Ses règles si complexes et qui vont à l’encontre de l’ordre naturel et de toute forme de bon sens n’ont qu’un seul but : renforcer la cohésion d’un groupe en l’obligeant à être solildaire et courageux dans le combat. Cette éthique de l’amateurisme s’incarne parfaitement dans la notion de fair-play : l’intérêt du sport réside avant tout dans la manière de le pratiquer, dans le respect des règles, de l’adversaire, de l’arbitre, dans la maitrise des pulsions dans la victoire et dans la défaite.

Comme l’écrit si justement Pierre Albaladéjo, le rugby est un JEU qui n’accepte pas le JE. On trouve de nombreuses traces de cette forme de rugby dans sa version amateur et semi amateur sensé l’incarner pleinement, via la FFR, mais aussi dans le rugby professionnel du TOP 14 ou de la PRO D2.

3 Les premières rencontres conflictuelles entre le sport à l’éthique amateur et le sport obéissant à la logique du gain

Le premier conflit opposant ces deux formes de sport eut lieu en 1871. Pour toutes les personnes qui s’enrichissaient grâce au sport professionnel (propriétaires et employés-joueurs, bookmakers), il était inconcevable de laisser un jeu de plus en plus populaire leur échapper.

Ce premier conflit conduisit à la scission entre d’un coté la Football association qui devint professionnelle (notre football actuel) et le Football-rugby qui resta amateur.

Le deuxième conflit eut lieu en 1895 au sein même du jeu de Rugby. Elle opposa les joueurs-ouvriers du Nord de l’Angleterre industrieuse qui ne pouvaient pas se permettre de jouer gratuitement à ceux du Sud plus aristocratique défenseurs de l’éthique de l’amateurisme et du fair play. Elle aboutit à la création de la Northern union, future Rugby League (actuel rugby à XIII) professionnelle et à la Rugby football union (RFU) toujours amateur.

L’éthique amateur résista plus de cent ans, jusqu’à ce qu’elle cède sous les coups de boutoir incessants du monde professionnel. Ce troisième conflit fatal ne trouva pas cette fois de défenseur digne de ce nom. En devenant professionnel, le jeu de Rugby perdit sa singularité, abdiqua (peut être momentanément) et rejoint le bataillon des autres sports.

Mais avant de devenir pleinement professionnel, le rugby vécu une période de transition dès les années 60 au XXè siècle. La période dite de « l’amateurisme marron » que l’on pourrait nommer aussi « le professionnalisme caché » : tout en gardant un emploi officiel ou en poursuivant ses études, un bon joueur d’équipe première d’un des 80 clubs de première division pouvait monnayer ses services pour l’équivalent de 1000 euros par mois, voire presque dix fois plus dans les années 90. 

Incarnation du sport professionnel dans le rugby contemporain en France

La Ligue national de rugby (LNR) créée par la FFR après 1996 pour organiser et gérer le rugby pro n’a fait que reprendre les principes inventés au XVIIIè siècle en Angleterre. La LNR suit exactement la même logique et les mêmes fins.

Depuis l’abandon du statut amateur du jeu de Rugby, ce sport a déserté les écoles primaires (dans lesquelles il s’était implanté grâce aux instituteurs-joueurs de rugby), il est de plus en rare dans les universités (les joueurs pro ne voient plus l’intérêt de poursuivre des études), il ne subsiste que par le biais des quelques pôles espoirs d’une vingtaine de collèges et lycées en France) et il a de moins en moins de rôle d’ascenseur social dans les communes, y compris quelques fois dans le rugby amateur.

Toutefois, l’esprit du jeu subsiste dans la volonté de ses plus fidèles amateurs, la mémoire de ses anciens joueurs, dans les paroles de nombreux éducateurs des écoles de rugby et y compris dans le comportement de nombreux joueurs de rugby pro.

Ce n’est pas rien et c’est même beaucoup : cela permet d’entretenir la flamme qui ne s’est pas éteinte depuis sa création en 1828 dans le collège de Rugby. On en trouve les traces à travers le fair-play de certains joueurs (preuves indélébiles d’une éducation rugbystique réussie). L’exemple le plus parfait et actuel vient des déclarations posts matchs du capitaine du RCT Guillem Guirado qui regrettait d’avoir gagné en demi finale contre La Rochelle dans des conditions qui ne lui paraissait pas, à juste raison, équitables.

Ces deux conceptions du rugby qui s’opposent depuis toujours obéissent de fait à des logiques philosophiques et pratiques antagonistes

D’un coté le sport professionnel et donc désormais le rugby pro, héritier direct des gentlemen farmers anglais au XVIIIè siècle.

Il obéit à une logique de marché et à la culture du gain. Il est joué par les couches populaires et les classes moyennes qui ont la nécessité de gagner leur vie grâce au rugby à partir du moment où il devient leur métier. Il est dirigé par les classes supérieures de la société et il s’entoure de toute une économie (médias, sponsors, entreprises, agences de pub, mécènes, actionnaires) et d’une infrastructure complète et complexe (clubs, dirigeants, entraineurs, corps médical, préparateurs physiques etc) pour proposer des spectacles attrayants susceptibles d’attirer le plus possibles de spectateurs, donc de parieurs potentiels. Dans ce cadre, le rugby suit naturellement les mêmes évolutions que son grand frère, le football, mais avec du retard. Les mêmes causes ont les mêmes effets… 

De l’autre le jeu de Rugby qui suit les règles de l’éthique amateur.

Il interdit de pratiquer ce sport pour l’argent, il est un moyen à la fois d’éducation des esprits et de promotion sociale des individus. Il perdure dans la plupart des écoles de rugby par l’enseignement et la posture des éducateurs. Il est tant bien que mal défendu et transmis par les différentes générations d’ex joueurs qui l’ont connu (avant 1996) et ne vivent pas du Rugby Pro. Il est entretenu dans nombre de clubs amateurs des différentes régions de l’Ovalie. Enfin, il est magnifiquement incarné par le rugby joué par les femmes.

Entre ces deux formes de rugby, existe une forme de rugby bien plus fréquente que l’on peut qualifier de semi-professionnelle : au mieux elle s’apparente au rugby des années 60-90 et rassemble des clubs formateurs historiques qui présente une forte communion entre le club, sa ville et son tissu économique ; au pire ce sont des clubs qui voient plus haut que leurs moyens financiers et qui sont régulièrement rétrogradés dans les séries inférieures pour déficit budgétaire. 

Le rugby ne devient-il pas schizophrénique ? Comment enseigner aux jeunes les valeurs de ce sport quand le rugby pro les abandonne ?

Il est tout à fait légitime d’aimer le spectacle que procure le rugby professionnel. Il n’est pas non plus question de vouloir revenir stricto sensu au sport pratiqué au XIXè siècle, comme s’il était un éden paradisiaque ou s’il représentait un âge d’or sans tache.

Toutefois, on ne peut pas demander au rugby de défendre tout et son contraire, ni de naviguer dans un flou mêlant valeurs de l’amateurisme et pratiques professionnelles diamétralement opposées. 

Ce sport doit certainement être réinventé pour s’adapter aux enjeux et aux caractéristiques du monde moderne du XXIè siècle tout en gardant son intérêt originel. Il a besoin d’un grand architecte comme l’avait été en son temps Thomas Arnold. Vaste programme.

Type de sport moderne Sport moderne professionnel

Sport moderne à l’éthique amateur

Date et lieu d’invention Inventé par les gentlemen farmers anglais au XVIIIè siècle Jeu de Rugby inventé dans les publics schools au XIXè siècle
Fonctions du sport

Les Gentlemen-farmers deviennent des gestionnaires d’activités ludiques

Ils créent une Organisation multidisciplinaire intégrant entraineurs, stades, employés-joueurs et rencontres.

Le but pour les propriétaires des clubs :

  • gagner une victoire symbolique sur un propriétaire adversaire,
  • contrôler sa population rurale,
  • alimenter des flux d’argent importants par le biais des paris des bookmakers, ceci à tous les échelons de la société,
  • créer un marché lucratif d’employés-coureurs-boxeurs etc. 

Le jeu de Rugby n’est constituée que pour régler des problèmes d’indiscipline, de violence, bref d’éducation.

Un seul but : renforcer la cohésion d’un groupe en l’obligeant à être solildaire et courageux dans le combat.

S’incarne parfaitement dans la notion de fair-play : l’intérêt du sport réside avant tout dans la manière de le pratiquer, dans le respect des règles, de l’adversaire, de l’arbitre, dans la maitrise des pulsions dans la victoire et dans la défaite.

 

 

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1 Commentaire

  1. Bonjour,
    L’article est intéressant, certaines données pourraient expliquer en partie, les déboires de l’équipe de France. Je pense depuis pas mal de temps que les joueurs n’ont pas assimilé la présence du top 14 dans leur existence et qu’être bon en top 14 leur est finalement suffisant (pour le moment, puisque tout évolue). Ils auraient perdu, un peu de cette nécessité de cohésion du groupe, de solidarité, de courage dans le combat. Autre interrogation: que fait Bernard Laporte à la Fédération, section en charge du rugby amateur ?
    Merci pour cet article.

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