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Evolution du gabarit moyen des rugbymen en 5 périodes de 1978 à 2016

Par Frédéric Bonnet pour

Merci à Christian Darlet pour ses grimoires du rugby, Alexis Dejardin professeur d’EPS et préparateur physique spécialisé dans le rugby et l’athlétisme et à Jacques Bonnet, mon père, pour m’avoir transmis son amour du rugby

Visionner deux finales du championnat de France de rugby à 40 ans d’intervalle permet de mesurer l’évolution de notre sport. Les formes de jeu, le temps de jeu, les mêlées, l’organisation des équipes, les maillots et les gabarits des joueurs semblent radicalement différents. Les gabarits des rugbymen ont-ils tant évolué ? 

Pour mesurer, l’évolution physique des joueurs de rugby, et leur puissance, on peut calculer et comparer l’indice de masse corporelle (IMC) des joueurs de première division du championnat français en 1978, 1990, 1997, 2001 et 2015. Attention, l’IMC a lui seul ne peut pas évaluer l’explosivité, la vitesse ou la détente des joueurs. Elle n’est donc qu’une indication de la puissance musculaire d’un joueur.

Adolphe Quetelet a inventé ce calcul (IMC) en 1832 en cherchant à définir le poids et la taille de l’homme « moyen ». Sa formule est simple : poids (kg) / taille au carré (cm). Cet indice est utilisé couramment par les médecins pour déterminer si une personne est en surpoids, voire obèse. Appliqué aux sportifs en général et aux rugbymen en particulier, il permet de quantifier la masse musculaire des joueurs (les muscles pesant plus lourd que la graisse, il n’est donc plus question de surpoids). Bien entendu, l’IMC ne peut pas quantifier les progrès fait depuis 40 ans en terme de rapport force/vitesse.

Physiologie du corps humain

Comme le rappelait récemment Andy Goode, jeune retraité du rugby anglais, le rugby pro produit une quantité impressionnante de bodybuilders. Dès qu’ils ont un jour de repos, ces « singes de la salle de muscu » vont soulever des haltères. Ils pensent à leurs muscles avant de penser à leurs skills, continue-t-il. La charge est lourde. Mais quel citoyen lambda peut-il désormais s’identifier à un joueur de rugby professionnel ? De fait, les gabarits des joueurs de rugby ont explosé depuis que le rugby est devenu professionnel.

 

Le rugby moderne professionnel et, par effet domino, le rugby semi amateur ou amateur, imposent aux joueurs d’être à la fois de plus en plus musclés tout en étant de plus en plus rapides. Le maitre mot du rugby moderne est donc la puissance. Pour Jean François Toussaint, chercheur à l’IRMES, plus que la taille et le poids, l’IMC (Indice de masse corporelle, calculé en divisant le poids par la taille au carré) donne une idée de l’engagement de la masse active, essentiellement de la masse musculaire.

Dans cette course à l’armement, on a donc aujourd’hui affaire à des sportifs de plus en plus costauds. L’IMC augmente dans toutes les disciplines qui engagent une grande puissance inertielle, mais aussi dans sports collectifs comme le rugby.

Les joueurs de rugby modernes dépassent désormais dangereusement les normes de développement idéal d’un être humain normal. Celles-ci furent établies en 2004 par le chercheur R. Fogel. C’était déjà le cas en 1977, mais dans une proportion bien moindre qu’en 2015.

Zones de développement idéal ZDI (taille/poids) dans la population générale

  • 195 cm : entre 80 kg et 95 kg
  • 190 cm : entre 76 kg et 85 kg
  • 185 cm : entre 70 kg et 78 kg
  • 180 cm : entre 65 kg et 75 kg
  • 175 cm : entre 60 kg et 70 kg

Evolution du surpoid des joueurs de rugby de première division (1977 et 2015) / à la ZDI de R Fogel

  • arrières en 1977, 174 cm pour 76 kg, soit plus 7 kg, en 2015, 185 cm pour 89 kg, soit plus 12 kg.
  • ailiers en 1977, 174 cm pour 75 kg, soit plus 6 kg, en 2015, 189 cm pour 96 kg, soit plus 14 kg.
  • centres en 1977, 171 cm pour 72 kg, soit plus 4 kg, en 2015, 181 cm pour 93 kg, soit plus 19 kg.
  • N° 10 en 1977, 175 cm pour 75 kg, soit plus 5 kg, en 2015, 182 cm pour 86 kg, soit plus 11 kg.
  • N°9 en 1977, 175 cm pour 75 kg, soit plus 5 kg, en 2015, 180 cm pour 85 kg, soit plus 10 kg.
  • 3 ème ligne en 1977, 186 cm pour 89 kg, soit plus 11 kg, en 2015, 191 cm pour 106 kg, soit plus 20 kg.
  • 2 ème ligne en 1977, 194 cm pour 101 kg, soit plus 10 kg, en 2015, 200 cm pour 118 kg, soit plus 18 kg.
  • piliers en 1977, 178 cm pour 95 kg, soit plus 23 kg, en 2015, 190 cm pour 127 kg, soit plus 43 kg.
  • talonneurs en 1977, 175 cm pour 85 kg, soit plus 15 kg, en 2015, 183 cm pour 105 kg, soit plus 29 kg.

Patrick Bacquaert, médecin en chef de l’IRBMS explique : « Avec un entraînement, il est possible de gagner 10 % à 15 % de muscle ». Au delà, on plafonne. Chacun est limité par sa génétique, qui lui confère une morphologie unique.

La population générale française a certes vu ses normes biométriques évoluer, mais loin des proportions des joueurs de rugby.

Quelle explication donner à une prise de masse supérieure ? Serait-il donc possible ou probable que la prise de substances dopantes, telles que les anabolisants et les stéroïdes qui, en favorisant la fixation des protéines, accentuent la prise de muscle, soit la seule explication recevable ? Nul ne peut l’affirmer. Du moins tant qu’un organisme indépendant des fédérations et des ligues professionnelles ne dirigera la lutte antidopage dans le rugby.

Malheureusement, ou heureusement (le corps comme signal d’alarme), la physiologie demeure un frein à cette hypertrophie musculaire. En effet, les tendons qui servent d’attache aux muscles sur le squelette ne peuvent supporter une activité musculaire supérieure à leur limite sans finir par céder à un moment ou à un autre. Il s’ensuit une traumatologie des joueurs de rugby qui ressemble de plus en plus à celle des bodybuilders au niveau du rachis cervical, dorsal, lombo-sacré (discopathies, névralgies, hernies discales), de l’épaule (tendinopathies chroniques), acromio-claviculaires, du genou, du tendon d’achille etc.

Pour le docteur Patrick Bacquaert, « c’est une escroquerie de croire que l’on peut prendre autant de muscle en soulevant de la fonte. On ne parvient pas à de tels résultats sans prendre de substances ayant des effets ravageurs pour la santé et de plus dopantes ».

 

Point de départ : le championnat de France de rugby 1977-1978

14890534_10205473195508790_8462169217036081923_o Nîmes le club de Louis Gagnaire et Oloron le club « exotique » des montagnes et de Clemente

Cette année là, le championnat de première division comprenait 80 clubs. Une illustration de ce que l’on appelle le rugby des villages et des villes moyennes, de Salles ou Bégles au Creusot ou Montchanin, de Romans à Nice, d’Arras à Quillan et de Toulon à Montferrand.

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Les « étudiants » à damiers de la banlieue ouvrière de Bordeaux, Bègles

Dans ces années 70-80, le rugby correspondait encore à l’équipe idéale décrite par l’écrivain Jean Giroudoux. Celle composée de 15 joueurs si disparates :

  • 8 joueurs forts et actifs, petits ou grands les avants,
  • 2 joueurs légers et rusés, la charnière,
  • 4 joueurs rapides, les trois quarts,
  • et enfin un dernier modèle de flegme et de sang froid.

Ainsi faite, comme le dit Kleber Haendens, une équipe de rugby permettait de développer tout ce que la vie en société exige, à savoir le courage, la solidarité, l’intelligence et la force ; soit ce que l’on appelle désormais les « valeurs du rugby».

14883514_10205479816994323_5016508203089258907_o Deux clubs girondins : les poudriers et les bucherons

Dans les décennies suivantes, ce bel idéal humaniste d’un sport accessible à tous sera fort mis à mal, voire tendra à disparaître.

En 1978, les gabarits moyens des rugbymen étaient très éloignés des standards du XXIè siècle (Cf tableau I, ci-dessous).

Pourtant, ces héros du rugby français semblaient beaucoup plus impressionnants quand on les admirait à la sortie des vestiaires. Ils étaient tels des taureaux fous et indomptables qui rentraient sur la pelouse du stade Mayol .

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Nice, les cousins ennemis de la côte du RCT

Les mensurations des idoles toulonnaises ou de leurs visiteurs aux noms si dépaysants peuvent surprendre par rapport à celles des rugbymen pro actuels. Ils étaient pourtant à leur époque les plus forts d’entre tous.  

  • les piliers toulonnais Diaz (182 cm 96 kg), boucalais Gaye (176 cm 95 kg) et Yanci (182 cm 105 kg ), lourdais Garuet (177 cm 95 kg), castrais Cholley (191 cm 110 kg), palois Paparemborde (183 cm 97 kg) ou biterrois Vaquerin (183 cm 97 kg),
  • les talonneurs toulonnais Bertrand Gallion (177 cm 77 kg), tarbais Dintrans (180 cm 90 kg), biterrois Paco (178 cm 85 kg) ou romanais Darlet (173 cm 75 kg) ,
  • les deuxièmes lignes biterrois Estève (200 cm 112 kg) et Palmié (195 cm 106 kg), toulonnais Guilbert (195 cm 95 kg), catalan Imbernon (199 cm 103 kg) ou valentinois Cester (192 cm 105 kg),
  • les troisièmes lignes toulonnais Coulais (188 cm 90 kg), aurillacois Boffeli (186 cm 88 kg), montchaninois Genevois (188 cm 100 kg), nîmois Capelle (176 cm 85 kg), grenoblois Delavaissière (182 cm 82 kg), tulliste Ayral (183 cm 92 kg), béglais Geneste (182 cm 82 kg), quillanais Membrives (186 cm 100 kg), toulousains Rives (180 cm 84 kg) et Skréla (186 cm 92 kg), niçois Hache (193 cm 90 kg), briviste Joinel (191 cm 94 kg) ou dacquois Bastiat (199 cm 100kg),
  • les demis toulonnais Gallion (172 cm 72 kg), biterrois Astre (170 cm 68 kg), auscitain Fouroux (162 cm 66 kg), tyrossais Alvarez (168 cm 70 kg), montferrandais Romeu (177 cm 76 kg), rochelais Elissalde (175 cm 80 kg) et agenais Vivies (176 cm 80 kg),
  • les centres toulonnais Lafarge (180 cm 80 kg), sallois Plantey (171 cm 70 kg), narbonnais Codorniou (168 cm  67 kg) ou Sangalli (174 cm 77 kg), bayonnais Bélascain (181 cm 83 kg) ou bagnérais Bertranne (176 cm 78 kg),
  •  les ailiers toulonnais Péliccia (176 cm 76 kg), montalbanais Cledes (176 75 kg), carcassonnais Bustaffa (180 cm 90 kg), voultain Averous (187 cm 89 kg) ou toulousain Novès (176 cm 78 kg)
  • enfin les arrières toulonnais Crochet (172 cm 78 kg), montois Argueil (175 cm 75 kg), bagnèrais Aguirre (180 cm 87 kg) ou biterrois Cantoni (172 cm pour 72 kg).

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Deux clubs du bout du monde : la corrèze de Tulle et les pins des Landes de Tyrosse

Evolution du gabarit des joueurs en cinq étapes : 1978, 1990, 1997, 2001 et 2015

Les gabarits des joueurs de rugby n’ont pas évolué de la même façon selon les postes. Toutefois, on assiste progressivement à une uniformisation globale des physiques des rugbymen. Il y a désormais les grands (plus de 180 cm), les très grands (plus de 190 cm) et les immenses (les doubles mètres). De temps à autre un joueur se rapprochant de la taille du français moyen (175,6 cm) s’invite dans une équipe de Top 14, mais ils deviennent de plus en plus rares.

Les avants

  • Les premières et les deuxièmes lignes des packs ont bénéficié des progrès de la préparation physique bien avant l’arrivée du professionnalisme dès 1990. Leur gabarits n’ont cessé d’augmenter régulièrement avec le temps, malgré une stagnation du gabarit des deuxièmes lignes en 2001.

En quarante ans, l’IMC des piliers a augmenté de + 5,2, leur taille de 12 cm et leur poids de 32 kg ! Celle des talonneurs de + 5, leur taille de 8 cm et leur poids de 20 kg.

En proportion, l’IMC des deuxièmes lignes a peu augmenté (+2,8), freinée par une augmentation de poids (+ 17 kg) plus faible que celle des premières lignes et une taille qui culmine à 2 mètres. 

  • Le gabarit des troisièmes lignes occupe une position charnière entre celui des avants et celui des arrières. Certes, il existe de grandes différences entre les gratteurs râblés, les sauteurs élancés et les perceurs de défenses lourds et massifs. Mais globalement, l’évolution de leur IMC a pris un peu de retard pour n’augmenter qu’à partir de 1997 (naissance du professionnalisme). Il faut dire que leur taille a augmenté plus vite que leur poids pour se stabiliser autour de 190 cm dès 1990, tandis que leur poids ne va cesser d’augmenter jusqu’en 2015. Comme les deuxièmes lignes, ils vont « prendre » 17 kg et 6 cm en quarante ans et leur IMC va presque rattraper celle du duo de l’attelage du pack (+3,5).

Les lignes arrières

Les progrès de la préparation physique n’ont pas affecté les gabarits des lignes arrières avant 2001 (soit au moment où l’afflu de joueurs formés à l’étranger a débuté). De manière générale les tailles des lignes arrières ont eu tendance à rattraper celle des troisièmes lignes, voire des deuxièmes lignes.

L’augmentation régulière de leur poids était compensée jusqu’en 1997 par l’augmentation de leur taille. Mais après 2001, les tailles moyennes enfin stabilisées, les IMC explosent : +1,1 pour les No 10, +1,5 pour les arrières et les No 9, + 2 pour les ailiers, +3,8 pour les centres. 

En quarante ans, la taille des demis d’ouverture a augmenté de 7 cm (+11 kg), celle des demis de mêlées de 10 cm (+10 kg), celle des arrières de 11 cm (+13 kg) et celle des ailiers de 15 cm (+21 kg). Un gain de poids étonnant pour des ailiers, mais qui a été compensé par leur extraordinaire augmentation de taille. Ils représentent toutefois des armes redoutables pour finir des actions en bout de ligne sans qu’aucun décalage n’ait été construit.

Pour le même gain de poids (+21 kg), les trois quarts centre n’ont « poussé » que de 7 cm. D’où, l’explosion de leur IMC à +3,8. Des sortes d’acolytes des troisièmes lignes centres placés au milieu des lignes arrières.

Principaux facteurs ayant influé sur l’évolution des gabarits des rugbymen

1 L’arrivée du professionnalisme dans le rugby

Depuis son invention au 19 è siecle, le rugby refusait l’idée du professionnalisme. Pour autant, il était courant que les joueurs touchent des rémunérations occultes de leurs clubs. Le rugby amateur amenait certes, une promotion sociale des joueurs au sein de la ville de leur club ou dans les entreprises de la région, elle leur permettait aussi traditionnellement de poursuivre leurs études ou d’exercer une profession (en général à mi-temps).

Mais l’argent de l’économie souterraine du rugby se transformait plus souvent en salaire déguisé qu’en argent de poche… le fameux amateurisme marron. On estime par exemple qu’un joueur du RCT touchait l’équivalent de 15 532 € en une saison en 1976, de 53998€ à Beziers en 1972, de 12750 à 29752 € à Romans en 1978, 11922€ à Cahors en 1981, 14590€ à Nimes en 1983, 37512€ à Bourgoin-jallieu en 1986, 34780€ au LOU en 1990 ou 115255€ à l’ASM en 1995.

La forte augmentation du nombre d’habitants moyens des villes des clubs du Top 14 depuis les années 2000, couplée à l’explosion des sommes reversées par Canal plus à la LNR, a fait grimper en flèche les budgets des clubs de première division. Le budget moyen des clubs du Top 14 est passé de 6,75 millions (min 4- max 13,4) en 2003/2004 à 21,53 (min 11,62-max 30,87) en 2015/2016, soit un chiffre multiplié par 3,1 en moyenne. 

En quarante ans, notre rugby professionnel est devenu un sport :

  • de grandes métropoles comme au football, mais toujours principalement situées en Occitanie (10 clubs sur 14). Paris compte deux clubs, le Lyonnais aussi. Toutefois, notre sport peine encore à s’étendre dans le reste de la France. L’implantation du rugby dans le Nord de la France est toujours un échec (le club de Lille a disparu pour des raisons financières). Mais, il pointe son nez en Bretagne, le club de Vannes a accédé cette année à la Pro D2, et en Alsace. Strasbourg devrait postuler l’année prochaine pour une place en Pro D2.
  • qui attire de plus en plus de spectateurs dans des stades de en plus grands.
  • qui paye de mieux en mieux ses joueurs du Top 14 du fait de la croissance importante des budgets des clubs.

Les différences salariales sont très importantes entre les joueurs au sein d’un même club, et encore plus entre les stars internationales et les autres joueurs. Ceci sans prendre en compte les différents contrats publicitaires ou droit à l’image des joueurs les plus médiatiques. Sans aucun doute, ce phénomène influe négativement sur la cohésion des équipes et sur la sacro-sainte valeur collective et solidaire du rugby.

De manière évidente, jouer au rugby étant devenu un travail, les exigences des employeurs se sont accrues. Les recruteurs des différents clubs ont commencé par faire des « détections-gabarits » pour arracher les plus beaux spécimen au foot, au basket ou au handball.

Les rugbymen s’entraînent tous les jours dans des conditions de plus en plus optimales. Ils pensent, rêvent, travaillent, respirent, s’ habillent…rugby. Leur corps est leur outil de travail, leur bien le plus précieux, malheureusement de plus en plus souvent gravement blessé…

2 L’évolution des méthodes de préparation physique

  • Pour améliorer la condition physique de ses joueurs, le monde du rugby ne fit appel aux professeurs d’EPS, souvent spécialistes d’athlétisme, que dans les années 70-80. Peu à peu les « tours de terrain mâtinés d’abdo-pompes » disparaissent. A cette époque, les clubs précurseurs, Béziers, Agen, Toulon, puis Toulouse s’entrainaient déjà 4 à 5 fois par semaine. Ce n’est pas un hasard s’ils dominaient alors le rugby français.
  • Dans les années 90 et progressivement avec l’arrivée du professionnalisme, tous les clubs emboitent leur pas. On parle de planification des efforts et de programmation de l’entrainement. Les premiers a bénéficier de cette évolution sont les avants au début des années 90. Leur IMC va progressivement exploser.
  • Aux profs de gym et aux entraineurs d’athlétisme se rajoutent des spécialistes de la musculation sportive (hélas aussi du culturisme), des préparateurs mentaux, des nutritionnistes, des spécialistes de la recup, des informaticiens ou divers rééducateurs. 
  • Peu à peu, les préparateurs physiques se spécialisent. On parle de musculation générale et spécifique par poste, de coordination-programmation, de spécialistes de l’exlosivité ou de l’agilité.
  • Cette musculation dite par poste donnera ses fruits particulièrement pour les trois quarts dans les années 2000. C’est à cette période que leur IMC commence à croitre fortement. On sait désormais faire du muscle et prendre du poids sans altérer la vitesse, la tonicité et la réactivité des joueurs.

3 L’évolution des méthodes de dopage

En rugby, on recherche toujours plus de vitesse, encore de la vitesse et de la puissance.

Les matchs s’enchainent, les temps de jeu explosent (de 20 minutes dans les années 90 à bientôt 50 minutes, mais avec la possibilité de faire huit changements en cours de partie), les postes sont triplés, la concurrence est la loi, la productivité sportive est installée, les présidents de clubs pressurisent managers, entraineurs et joueurs pour avoir des résultats à court terme, le nombre de blessures augmente, la sur-médiatisation ressemble à celle du foot.

Au final, certes les joueurs sont très bien payés (beaucoup plus que le français moyen, mais beaucoup moins que le footballeur moyen), mais leur carrière est courte et leur travail de plus en plus précaire.

Le risque de burn out collectif n’a jamais été aussi important. Les rugbymen étaient des héros que l’on croisait au marché le samedi, ils sont en passe de devenir des stars qui sont groupés-enfermés par nationalité dans des villas de luxe, hors de la ville, loin de leurs supporters.

Bien entendu, l’essence même du jeu, ses règles et l’esprit de ses règles font que nos rugbymen, quand on les croise au bord du terrain d’entrainement, restent toujours abordables et ouverts. Mais encore faut-il que les entrainements soient accessibles au public. Pourquoi se doper, que l’on soit rugbyman, sportif ou simple citoyen ? Pour se préparer ou accéder à un travail (entrainement), pour s’y maintenir le plus longtemps possible (compétition ou match) et pour y retourner le plus vite possible en cas de licenciement ou de blessures (récupération).

La France est détentrice du record mondial de consommation de tranquillisants et anxiolytiques : 13 millions de français. La tentation du dopage est consubstantielle à la notion de compétition et donc à la volonté d’être le meilleur. Ainsi, il existe de très nombreuses et puissantes raisons de se doper, mais une essentielle de ne pas se doper : la nécessité pour chacun de préserver sa santé, son corps et son cerveau.

Ne négligeons pas non plus l’aspect préventif et dissuasif de la FFR (fédération française de rugby), de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage), des douanes, de la gendarmerie et de la police nationale. Ni la dimension éducative, éthique et morale du sport qui assimile le dopage à la tricherie.

Selon les années, le rugby est le troisième (2012 et 2014) ou le quatrième (2013) sport le plus controlé en France.

Mais en 2015-2016, le nombre de licenciés de rugby a augmenté de 7617 personnes ; portant le nombre total de licenciés à 445 757 personnes, un record en France. Pourtant, le nombre de contrôles antidopage a régressé fortement en tombant à 730, des chiffres proches de ceux de 2013. La lutte antidopage dans le rugby ne semble plus une priorité…

En terme de probabilité, pour une fenêtre de détection de 48 heures, une sensibilité des tests d’à peine 40 %, 12 contrôles par an et un dopage en continu, le rapport du risque d’être contrôlé positif est d’un sur trois. Mais pour un contrôle par an (cas le plus fréquent et probable en rugby), ce rapport est de 2,9 %.

Il faut donc être très maladroit, insouciant ou malchanceux pour être convaincu de dopage quand on est rugbyman. Certes. 

4 L’arrivée massive de joueurs formés à l’étranger 

Dans les années 70-90, le championnat français accueillit des joueurs globe trotteurs venant du monde entier : Barnebougle à Bayonne, Horton à Toulouse et Bourg en bresse, Heuer à Saint jean de luz, Mallett à Saint claude, Melville à Mont de marsan et au RCT, Colglough à Angoulème, Cotter à Lourdes, Fitzsimmons à Brive, Dawson au Racing, Britz à l’USAP, Dumitras à Pau, Cederwall et Hickey à la Rochelle, Loe au LOU ou Barnard à Bégles…

Des noms qui nous faisaient voyager et apportaient à leurs clubs une autre idée du rugby. A cette époque, le rugby avait encore conservé un de ses cinq piliers fondateurs (avec la solidarité, l’esprit combattif, le courage et le respect des règles et des autres) : l’amateurisme.

Rien à voir donc avec ce nouvel avatar du capitalisme qui consiste à recruter des stars du rugby international pour le top 14, afin de conquérir des titres et vendre les clubs aux télévisions, friandes de spectacle : le panem et circoncis de l’empereur Titus (du pain et des jeux) est toujours d’actualité.

Notre championnat est considéré comme offrant les plus hauts salaires du monde du rugby : Dan Carter 1 400 000 € par an, Matt Giteau 900 000 €, Halfpenny 750 000€, Habana 600 000, Parra 550 000€ ; contre 587 000 pour Manu Tuilagi ou 580 000€ pour Picamoles en Premiership. Ces sommes faramineuses cachent toutefois une grande hétérogénéité des salaires et des contrats des rugbymen du Top 14.

Mais, ces stars ne sont que l’arbre qui cache la forêt des 687 rugbymen recrutés à l’étranger qui jouent en top 14 (234 joueurs) et en pro D2 (224 joueurs), championnats professionnels dépendants de la LNR, mais aussi en fédérale 1 (229 joueurs), championnat « amateur », dépendant de la FFR.

Il n’y est plus question de stars, mais de très bons, voire simplement bons joueurs formés à l’étrangers, mais présentant deux avantages par rapport aux joueurs formés en France : avoir plus d’expérience que nos jeunes joueurs espoirs et surtout être très bon marché et plus aisément corvéables à merci. Une sorte de colonisation à l’envers.

La Nouvelle zélande, l’Australie ou l’Afrique du sud ne nous cèdent que leurs joueurs en pré retraite (Carter par exemple) ou ceux qui n’ont pas le niveau du super rugby ou de leurs championnats nationaux respectifs.

Mais, les pays les plus pauvres, la Géorgie, la Roumanie, les Fidjis, le Tonga ou les Samoas, sont véritablement pillés et vidés de leurs forces vives. De jeunes joueurs sont déracinés et envoyés en France dans des conditions quelques fois rocambolesques et il faudrait d’ailleurs étudier leur conditions de vie en France (logements, accompagnement…).

Ces joueurs formés aux quatre coins du globe amènent leur talent et leurs différences culturelles : c’est un bien inestimable.

Ils augmentent mécaniquement  le réservoir de joueurs grands et costauds qui reste limité dans chaque pays. Ils emportent aussi pour certains dans leurs valises les pratiques dopantes utilisés dans certains pays de l’Est ou dans l’hémisphère Sud.

Bilan

L’augmentation impressionnante de l’IMC des joueurs de rugby en quarante ans est la résultante de plusieurs facteurs d’égale importance :

  • la détection et le recrutement de joueur grands et forts,
  • la professionnalisation du rugby,
  • l’amélioration et le développement des pratiques de musculation spécifiques à chaque poste,
  • l’évolution des méthodes de dopage
  • et l’afflux massif de joueurs formés à l’étranger.

Cette fuite en avant vers des joueurs de plus en plus bodybuildés, grands et costauds a-t-elle une fin ? Pour le savoir, il suffit d’observer ce qui se fait dans l’eldorado du rugby la Nouvelle Zélande. Certes, les rugbymen y sont costauds. Mais, ils y sont surtout rapides : rapides dans leurs courses, rapides dans leurs prises de décision, rapides dans leurs gestes techniques. La vitesse sera l’arme rugbystique du futur.   

 

Graphique 

20161112_110727 Evolution des IMC des joueurs du championnat de France de rugby de 1978 à 2015[/caption]

Tableau I : IMC (indice de masse corporelle) moyen par poste.

  1978 1990 1997 2001 2015
Arrières

 25,1

(174 cm 76 kg)

 24,3 (-0,8)

(178 cm 77 kg)

24,7 (+0,4)

(179 cm 79 kg)

25,5 (+0,8)

(180 cm 82 kg)

26, 3 (+0,8)

(184 cm 89 kg)

Ailiers

 24,8

(174 cm pour 75 kg)

 24,4 (-0,4)

(180 cm 79 kg)

25 (+0,2) 

(180 cm 81 kg)

 26 (+1)

(188 cm 92 kg)

 26,9 (+0,9)

(187 cm 94 kg)

Centre

 24,6

(171 cm 72 kg)

24,5 (-0,1)

(175 cm 75 kg

25 (+0,5) 

(180 cm 81 kg)

 26,5 (+1,5)

(182 cm 87 kg)

 28,4 (+1,9)

(181 cm 93 kg)

No 10

24,5

(175 cm 75 kg)

 24,9 (+0,4)

(177 cm 78 kg)

 25,1 (+0,2)

(183 cm 84 kg)

25,9 (+0,8)

(180 cm 84 kg)

26,2 (+0,3)

(182 cm 87 kg)

No 9

 24,5

(175 cm 75 kg)

 24,5

(175 cm 75 kg)

 24,7 (+0,2)

(180 cm 80 kg)

 25,3 (+0,6)

(177 cm 80 kg)

26,2 (+0,9) 

(180 cm 85 kg)

Troisièmes lignes

25,6

(186 cm 89 kg)

26,1 (+0,5)

(191 cm 95 kg)

27 (+0,9)

(190 cm 98 kg)

27,8 (+0,8)

(192 cm 104 kg)

29,1 (+1,3)

(191 cm 106 kg)

Deuxièmes lignes

26,7 

(194 cm 101 kg)

27,6 (+0,9)

(195 cm 105 kg)

 28,6 (+1)

(196 cm 110 kg)

 28,1 (+0,1)

(198 cm 110 kg)

29,5 (+0,8) 

(200 cm 118 kg)

Piliers

29,6

(178 cm 95 kg)

 30,7 (+1,1)

(182 cm 103 kg)

 32 (+1,3)

(186 cm 110 kg)

 33,2 (+1,2)

(187 cm 114 kg)

34,8 (+1,6) 

(190 cm 125,5 kg)

Talonneurs

 27,5

(175 cm 85 kg)

 28,7 (+1,2)

(177 cm 90 kg)

 30 (+1,3)

(178 cm 95 kg)

30,9 (+0,9) 

(178 cm 98 kg)

 32,5 (+1,6)

(180 cm 105 kg)

Nombre total de joueurs

 440

pour les 16 clubs des phases finales

540

pour les 16 clubs des phases finales

720

joueurs des poules 1 et 2 du groupe A

580

joueurs du Top 16 

560

joueurs du Top 14

Nombre de joueurs recrutés à l’étranger  2 (0,45%)  5 (0,9 %)  19 (2,6 %)

 93 (16%)

 234 (42%)
Nombre de joueurs de moins de 170 cm chez les trois quarts 24   14   4  3  3
Nombre de joueurs de plus de 190 cm chez les avants  44  97   123  122  165
Evènements rugbystiques Trois entrainements par semaine en général, sauf pour Béziers qui s’entraîne toute la semaine.

Début de modernisation des méthodes de préparation physique.

Doublement du nombre de joueurs de plus de 190 cm 

Naissance du rugby professionnel

 

Quatre années après les débuts du professionnalisme, les clubs se dotent de structures pro concernant la préparation physique.

Début de recrutement de joueurs formés à l’étranger, principalement dans les pays de l’Est.

Inflation des budgets des clubs et des salaires des joueurs.

Arrivée massive de joueurs non formés en France, principalement des stars de l’hémisphère Sud.

10 Commentaires

  1. Très très bel article, bien écrit et bien documenté. Alors faut-il se réjouir de ce changement de paradigme avec cette explosion des gabarits artificiellement acquis et de la force brute, notre rugby à 15 se rapprochant dangereusement du football américain. Changement radical aussi depuis la professionnalisation à cause de l’argent facile et de la médiatisation imbécile façon Canal +, qui tire les valeurs humaines vers le bas, alors que dans le temps jouer au rugby n’était pas un métier, mais un plus qui permettait à chacun de s’épanouir dans la vie de tous les jours.

    1. Merci c’est gentil. Et bravo pour tes chroniques. Très bien argumentées et avec de bonnes recherche d’éléments. Ca doit te prendre un temps fou. Philippe Guillard

  2. Bravo !
    Un magnifique exposé de l’évolution accélérée de ce qui ressemble de plus en plus à un combat de gladiateur dans l’arène. La santé des acteurs passe au second plan, c’est bien dommage…sauf que les parents sont conscients et plus réticents que par le passé avant de laisser leurs petits tester ce sport qui frappe les esprits par la violence de contacts de plus en plus remarquables. Bref, la violence des chocs n’a pas tué le football américain et il y aura sans doute toujours un public avide et des joueurs enrôlés pour ce type d’affrontement. Mais quel en est le prix à payer sur le long terme pour les joueurs ? On peut continuer à jouer aux devinettes sur ce sujet rarement abordé…Merci en tous cas à l’auteur de nous aider à y contribuer.
    DLB

  3. Bonjour Monsieur,
    L’orthographe correcte de l’adjectif dont il s’agit est « râblé », pas « rablais ».

    Cordialement

  4. J’etais un amateur de rugby, sport noble ou la vivacité était la principale qualité des acteurs. Cet article très bien documenté me conforte avec ses chiffres que ce sport a malheureusement trop changé au lieu d’évoluer. Je regrette le temps de l’évitement qui à laissé la place à l’affrontement frontale. Merci à l’auteur qui pose les bonnes questions. Dommage que ceux qui dirigent ce sport regardent plus l’aspect économique que l’intérêt du sport et de la santé des joueurs.

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